Quand on parle de littérature en Martinique, on pense immédiatement à Aimé Césaire. Tout en haut de la pile à lire. Puis à Glissant, à Chamoiseau voire à Confiant. Des écrivains connus et reconnus non seulement dans notre territoire, mais surtout à l’international, où ils ont glané divers prix et récompenses.
Notre propos n’est pas d’écrire un énième article sur ces têtes de gondole, mais plutôt de faire un tour de nos écrivains actuels, dans l’arrière cour ou sur la devanture. Ceux qui osent publier ou qui parviennent à le faire. Au prix de difficultés immenses, même si certains n’ont presque pas ce genre de problèmes. Car, pour la majorité, si on croit leurs déclarations, se faire éditer est un vrai parcours du combattant. Au point qu’ils sont de plus en plus nombreux à se lancer dans l’auto-édition, sur fonds propres, en prévente ou en financement alternatif.
Ce sont ces écrivains dont nous parlerons ici. Écrivains ? Un éditeur guadeloupéen a eu l’occasion de préciser : « On écrit un livre, on est un auteur. A partir du deuxième, on devient un écrivain. » Gardons cette définition qui semble indiquer, non plus un coup de cœur, mais l’adoption d’une vraie activité, même s’ils ne doivent pas être nombreux à en vivre ou à en tirer des bénéfices importants. Simple amour de l’écriture !
Nous avons, de façon absolument subjective, choisi vingt écrivains martiniquais. De façon subjective, mais par ordre alphabétique pour éviter toute interprétation.
- Marie-Line AMPIGNY. Femme de lettres multicartes, actrice de théâtre, journaliste, compositrice, responsable culturelle, elle a produit des ouvrages très divers. Pour les jeunes (Le carnaval de Clémenceau Bwabwa, Le JT de Clémence), roman hommage à Edith Lebel (Une flamme créole), des essais comme « D’étranges rumeurs », « racontars exquis », et le dernier et délicieux Corona Victorus. On nous annonce un prochain livre après les vacances.
- Sabine ANDRIVON-MILTON. Encore une femme orchestre qui ne se contente pas d’enseigner l’histoire. Elle invente des jeux de société dont la Martinique est l’épicentre et elle écrit. Son tout premier « Lettre de poilus martiniquais » a été rejoint par « Anatole dans la tourment de Morne Siphon », mais aussi par « la Martinique en 200 questions » ou encore « La Martinique et la 1ère guerre mondiale ». On pourrait presque la classer comme écrivaine historienne de la 1ère guerre mondiale.
- Nicole CAGE se glisse plus volontiers dans la catégorie poétesse et romancière. Cette enseignante d’espagnol, également psychothérapeute, a reçu des prix prestigieux comme le Prix Casa de las Américas. Côté romans, elle est l’auteur de presque une dizaine d’ouvrages parmi lesquels « L’espagnole », « Vole avec elle », « Et tu dis que tu m’aimes » ou encore « C’est vole que je vole ». Sa production ne semble pas avoir la reconnaissance qu’elle mérite. Et malheureusement, elle n’est pas la seule.
- Sully CALLY. Certains s’étonneront de sa présence dans cette liste, étant plus connu pour ses talents de tambouyé, de défenseur du patrimoine musical. Cet également animateur de radio a publié plusieurs ouvrages, plutôt différents. A côté de ses contes pour enfants « Le tambour magique de Koyo » et « Voyage à Cuba », il s’est positionné dans son domaine de prédilection avec « Le grand livre des musiciens créoles » 2 volumes et « Musique et danses Afro-caribéens ».
- Imaniyé Dalila DANIEL. Encore une femme de culture, chant, théâtre, patrimoine, journalisme, qui a eu un succès inattendu mais bien réel avec son « Zaïre et Théophile – Pas de pitié pour les nègres ! » L’esclavage à travers l’histoire de deux africains en Martinique, au destin tragique dix ans avant l’abolition. Elle a également publié « Rythmes, contes et chansons de Tatie doudou » qui a ravi les plus jeunes.
- Emmanuel De REYNAL, fait partie de ces martiniquais qu’on classe comme békés. Et pourtant la conclusion de son « Ubuntu » est, on ne peut plus clair, « Alors, s’il vous plaît, ne m’appelez plus béké ». Après la publication de « Recta Linéa » et de « Une minute », on attend avec une impatience non dissimulée son prochain ouvrage, écrit avec Steve Gadet. Un moment très fort de la littérature martiniquais à venir le 10 mai ; dialogues entre un descendant de « béké » et un « afro-descendant ».
- Suzanne DRACIUS, très certainement la « star » de cette liste. Évolue autant à l’international qu’en Martinique. Traduite notamment en anglais et en Italien ! Lancée par « L’autre qui danse » (en 1989 !) , son second roman « Rue monte au ciel » a reçu un grand succès. Elle est auteur de nouvelles (De sueur et de sang), d’œuvres poétiques (Prosopopées urbaines ou Exquise déréliction métisse), d’essais, de livres pour enfants ou de pièces de théâtre (Lumina Sophie dite Surprise). Incontournable dans une bibliothèque.
- Jude DURANTY ou Jid DURANTY, encore un auteur prolifique. Bibliothécaire, il a écrit en créole et en français plus d’un vingtaine de livres. On y retrouve des romans, des essais, des contes et légendes, de l’humour, des poésies, de l’histoire avec, notamment, « Kerry Mo-Mawot’, « Kreyolad », « La rame magique », « Sansann », « Ti Zwézo », « Patenotre, chimen Lavi ». Rappelons que sa plume se retrouve dans notre magazine très régulièrement.
- Peggy EBRING, aussi discrète dans l’écriture que dans la vie. Un style très personnel dans « La quête : Aventure initiatique en terre inconnue ». Un appel au lâcher prise, au voyage intérieur, et comme elle le signale : « de révélations en déchirements, elle trouvera la force de faire face à ses démons et découvrira les secrets de sa propre vie, clé de voûte de sa renaissance. » Elle promet une suite. On attend avec gourmandise.
- Steve GADET, maître de conférences en histoire des USA, est l’auteur de plusieurs ouvrages dont « La culture hip-hop dans tous ses états », « Cahier d’un retour à moi-même », recueil de poèmes et de slams , « Quand un homme aime une femme » ou le roman « Un jour à la fois ». Membre d’une église baptiste, il se définit sur son compte Twitter comme « activiste, chrétien, MC, écrivain et enseignant » Son oeuvre commune avec Emmanuel De REYNAL est très attendu, traduction de dix heures de tête à tête et d’échanges sans tabous.
- Matthieu GAMA, le lauréat incontestable des ventes de 2021, en Martinique et peut-être en Guadeloupe, avec son premier essai « Le jour où les Antilles feront peuple ». Il faut préciser qu’il s’agit de la Guadeloupe et ses dépendances, la Martinique, Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Un petit livre (108 pages) qui a trouvé un remarquable écho dans les populations des Antilles françaises, suite au constat de l’auteur : « L’esclavage nous a appris à survivre, mais il nous a empêché d’apprendre à vivre en peuple. »
- Roland JEAN-BAPTISTE-EDOUARD. Ancien professeur de collège, psychologue scolaire et inspecteur de l’Education Nationale à la retraite, il est l’auteur de plusieurs livres scolaires. On a apprécié son recueil de poèmes « Mon humour, mes amours », mais on retient également la biographie de « Fernand Donatien, le triomphe de la chanson créole ». Il manie l’humour dans son « Fallait-il tresser une couronne à virus ? » en fin 2020, mais on n’oublie pas « Césaire : ce rebelle bien-aimé » en 2018. On nous annonce un essai sur la culture avec la collaboration de plusieurs plumes locales.
- Sonia JEAN-BAPTISTE-EDOUARD, la fille du précédent, comme quoi, même en littérature , la génétique fait des siennes. Amoureuse de la poésie, « Éclats de voix » paru en 2006, elle s’adonne à l’exercice difficile de la biographie. Elle a commencé avec « Jacques Sicot, un champion pas comme les autres ». Elle a remis ça avec le combat de Christophe Maleau pour aider à la lutte contre le cancer « Je serai champion olympique ». Un beau succès ! Pour l’instant, elle privilégie les champions de natation, on attend sa sortie de la piscine avec son prochain ouvrage.
- Barbara JEAN-ÉLIE. La journaliste vedette d’ATV dans les années 90, responsable de Trace TV, et actuelle chroniqueuse à Zitata, s’est plongée depuis longtemps dans l’écriture. Elle est l’auteur de « Mabouya et Zandoli » 7 histoires de la Caraïbe extraordinaires et inachevées qui plaisent aux enfants, avant un roman « La vierge et le Dictateur », fiction fantastique et médiévale. Son tout dernier essai « Martinique Libre » est paru juste avant la présentation de sa candidature aux futures législatives. Hasard, certainement !
- Serghe KECLARD fait dans la discrétion. Son « Cartel Comédie » n’a peut être pas eu l’écho qu’il méritait. En 126 pages, petit format, le lamentinois a maîtrisé les comportements et le langage des jeunes. Un exemple ? « Ce que je kiffe mortel, c’est partir en drive avec ma chou, une belle et douce métisse cuivrée de chez cuivré, fashioned à mort… ». Un rythme échevelé auquel il faut s’accrocher. Il est également l’auteur de « Quartier Césaire ou Chroniques de Morne Soulier », de « L’homme qui avait perdu ses mots » et du plus récent (2019) « Chasé-Kwasé ». Un talent à découvrir !
- Jeannine LAFONTAINE “Jala” est connue comme conteuse, marionnettiste, éditrice et auteure. Encore une femme hyperactive ! Co-fondatrice de « Les auteurs de la Martinique », elle a publié près d’une trentaine d’ouvrages différents depuis 1991. Elle écrit en créole, en français et en anglais. Depuis 2015, on retient « Le diamant du rocher » et « Bélier et zélée au fil de l’eau » (contes en français et créole), puis en 2019 « Dico KFE », dictionnaire en images, et enfin en 2020 « Majolay ou l’art du conte créole » (essai et manuel pratique).
- Josapha LUCE. Un éclectique qui touche à tout : agriculture, enseignement, musique, chanté Nwel, météorologie, créole, histoire, etc… , et il écrit. « Créole , d’où viens tu ? » (2007), « Dictionnaire des personnalités, lieux et hauts faits de l’histoire de la Martinique (2008), deux ouvrages dans lesquels la recherche historique a toute sa place. En 2011, il se lance dans le roman avec « L’ombre du malfini », une façon agréable et remarquable de visiter les coutumes et traditions du pays Martinique, à travers les aventures d’un groupe d’amis …
- Arlette PUJAR, co-fondatrice de Les auteurs de Martinique avec Jala et Sabine Andrivon-Milton. Doctorante en droit public, elle a choisi le roman pour se lancer. Beau succès avec son « Vini Vann : la boutique de Manuel Yvonne » , un flashback dans la Martinique de l’après guerre, avec des personnages hauts en couleurs. Son second ouvrage « Suzanne : Une trajectoire de vie (an divan an dewo) », rend un hommage appuyé aux orphelins et aux structures d’accueil, comme les EPHAD ou le centre Emma Ventura.
- Rose-Marie TAUPIN-PELICAN, choquée par la catastrophe aérienne du 16 août 2005 a publié en 2017 « Mayday, mayday : fera-t-il jour demain ? ». On retrouve sa belle plume dans « La grand-mère, cette femme éternelle », qui demeure dans les cœurs et les mémoires. Deux volumes ont été nécessaires pour « Ces femmes que j’ai rencontrées. » ou « Quand les femmes veulent vivre », cinq femmes confrontées à l’adversité. Un recueil de nouvelles dont le titre du 2e volume « Quand les femmes se font châtaigne » est explicite quand on connaît les classiques de notre musique ;
- Serge THALY. Il faut avouer qu’on l’attendait sur d’autres terrains. Mais avec son TI MILAT, un essai de transmission plutôt original, il veut imposer un nouveau credo « Simplement martiniquais », où il revendique ses origines diverses. On le retrouve sur un ouvrage politique tout aussi inattendu « Cyclones et tsunami en Martinique », le compte-rendu fidèle des élections territoriales de juin 2021. 2 tentatives, 2 succès, on guette le prochain ouvrage avec une question : où nous mènera-t-il ?
Cette liste de vingt est évidemment subjective. D’autres auteurs ou écrivains auraient pu être cités :
Christian RAPHA : Tant que la dernière balle n’a pas rebondi deux fois
André QUION-QUION : Histoires singulières des côtes de la Martinique, La Pute des hérétiques et Une autre histoire maritime à la Martinique, L’histoire croisée des yoles
Catherine MARCELINE : Christiane EDA-PIERRE : une vie d’excellence.
Maurice LAOUCHEZ : Vos avocats ont déjà beaucoup parlé
Daniel-Claude MARIE-SAINTE : Et tout ça devant l’Evêché
Jean SAHAÏ : Adagio pour la Da
Rolande BOSPHORE : La fusillade oubliée.
Malik DURANTY : #RaggaMuffin – Une poétique du cheminement
Éric DRACIUS : Le grimoire du poète disparu
Camille BRISTOL : Les pérégrinations d’une tortue luth
Josette BARDURY-ROTSEN : Ti Touloulou
Il y en a certainement d’autres, notre liste est loin de faire le tour de tous nos auteurs, écrivains, en activité ou à venir.
Cette semaine, des lycéennes d’Acajou 1 ont présente un livre écrit collectivement. Des textes et des illustrations réalisés sous la houlette de leurs professeurs. « Éclats de voix, Éclats de mots », l’épreuve d’un savoir-faire martiniquais et l’assurance d’une relève.
Le seul bémol : tous vous diront que les lecteurs ont tendance à se faire rares, et il est très difficile de trouver le créneau. Vous avez dit éducation ? Ça c’est un autre problème.
Nicolas MANCEAU
Un commentaire
Madame, monsieur,
Vous avez fait mention des écrivains que vous connaissez, mais qu’en est-il de Tony DELSHAM et de Jean-Charles PAMPHILE ?