Nous nous étions promis Christian et moi de faire cet interview pour Antilla à un tournant de la vie de ce dernier. Depuis quelques moiretraité, Christian a répondu à nos questions avec enthousiasme. Nous l’en remercions !
- Christian tu interviens souvent auprès des médias, dans les colonnes d’Antilla pour parler de ton violon d’ingres, la musique, notre musique identitaire, comment t’est venue cette passion, sinon cette foi?
Ce n’est pas totalement une passion, mais plutôt la volonté d’être utile au pays, au monde culturel, de contribuer à alimenter des réflexions, des cogitations, des interrogations sur ce qui est devenu une filière professionnelle et de solidité sociale.
J’ai travaillé 40 ans dans cette société qu’est la SACEM en Martinique et en Guyane, en plein dans les activités musicales, avec des producteurs, des artistes, des éditeurs des compositeurs, des réalisateurs, des médias, de entrepreneurs les plus divers. Tout cela nourrit l’expérience et peut prédisposer à participer à la mise en relief des problématiques et autres analyses et réflexions.
Par ailleurs je considère l’investissement de votre journal et son ambition et y vois un véhicule approprié pour partager avec vos lecteurs.
Enfin parce que je considère qu’il faut dorénavant être au fait des questions de notre époque.
Les défis culturels sont devenus des questions qui doivent interpeller, il faut donc poser la réflexion pour que des démarches innovantes et fertiles soient considérées.
- As-tu baigné dans un milieu musical dans ton enfance? tes études, ta formation n’ont pas été orientées vers la musique. Comment est née cette passion?
J’ai toujours été musique. Dans ma tendre enfance, vers les 10 ans je débutais avec les cours de piano chez Mme Yvette Eustache au Robert avec la fameuse « méthode rose » , cahier incontournable à l’époque . Et puis la ville du Robert accueillait des formations musicales et des salles de dance notamment deux salles célèbres en leur temps, l’Escale et le Miramar.
Ces salles furent d’ailleurs celles qui favoriseront un orchestre comme La Perfecta qui y répétait couramment. Ma proximité avec certains musiciens et particulièrement Jojo Tayalay me permettait d’être présent souvent aux répétitions et aux prestations. J’ai encore le souvenir de Daniel Ravaud qui dirigeait cet orchestre avec élégance et empathie, et de Roland Pierre- Charles qui me confiait parfois le soin de le remplacer au piano sur les chansons «tout mon boule » et « lapin mwen ».
Ma formation universitaire ensuite a été essentiellement en économie et en gestion. Autant dire que c’est toujours cette approche que j’ai priorisée dans le domaine de la musique compte tenu que l’action de la SACEM y correspond pleinement.
Ajoutons que le thème du droit d’auteur contenu dans le cadre de la législation sur la propriété littéraire et artistique d’abord, sur la propriété intellectuelle ensuite de façon plus large est singulier et particulièrement intéressant.
J’ai compris rapidement que le droit d’auteur était un des éléments de la structuration de l’économie culturelle et donc un outil utile à notre environnement.
Ma carrière a la SACEM est le fruit d’un hasard ou d’une prédestination, elle résulte d’une rencontre avec un homme, un métropolitain aujourd’hui disparu qui s’appelait Guy Sirot . Il exerçait le poste de délégué général aux Antilles-Guyane, cela se passait en 1980…
- Au point aujourd’hui que tu diriges ton propre orchestre et travailles le piano d’arrache-pied pour progresser. Explique-nous tout cela…
Je ne dirige pas d’orchestre, je continue un peu la pratique du piano en amateur. Et entouré des quelques amis je répète souvent le Week-end, juste dans un objectif de détente.
Il est vrai que mes fonctions m’ont conduit à côtoyer de nombreux pianistes. Dans ces conditions il aurait été regrettable ne pas en profiter pour approfondir mes connaissances. De plus, ma nouvelle situation de retraité semble idéale dans cet objectif.
Le piano est cependant un instrument clé et fédérateur, bien souvent les pianistes ont un rôle particulier et central dans une formation. C’est donc un peu mon cas avec les amis qui m’accompagnent en repetition.
- Maintenant que tu as pris ta retraite, quel regard rétrospectif portes-tu sur ton cheminement jusqu’à ce jour?
D’abord je reprends mon souffle, car ma mobilisation fut de tous instants en Martinique mais aussi en Guyane.
Dans ce dernier territoire, il fallait assurer la présence et la permanence de la SACEM sans bureau et parfois à distance sans collaborateur sur place, ce fut une véritable croisade d’avoir réussi à force d’insistance de disposer enfin d’un bureau en Guyane et d’un collaborateur à temps plein.
J’ai toujours considéré qu’au-delà de ce que me demandait ma direction parisienne, j’étais probablement le mieux placé pour répondre aux besoins des adhérents des Antilles-Guyane et aux besoins d’adaptation de plusieurs dispositifs pour nos régions éloignées et singulières .
Ce ne fut pas sans mal, mais nous avons fortement progressé grâce à une équipe de personnel local investie et bien présente dans les initiatives que nous avons pu prendre (prix SACEM, actions de communications , commission d’identification , commission auto productions, soutien aux salles…)
Les défis et les carences restent conséquents dans un environnement qui lui-même a fortement changé. De très nombreuses personnes m’ont interpellé, félicité, souligné ma détermination, mais l’essentiel reste à faire car les enjeux demeurent et les défis sont quotidiens dans ce monde en mouvement.
Si la conviction d’être utile m’a fortement motivé, en revanche j’ai eu dans la dernière partie de mon parcours professionnel beaucoup de mal à faire entendre nos différences, les besoins de notre environnement, les dispositifs utiles pour nos territoires en outre-mer. La SACEM n’est pas exclusive dans le jacobinisme français. Au fur à mesure, par le moyen notamment de la technologie nos marges de manœuvre ont été réduites et notre périmètre de compétence devenu de plus en plus étroit. Cela s’est traduit par une indisponibilité à l’écoute, par l’application de dispositifs centralisés voire par une forme larvée de manque de considération pour ne pas dire pire car à trop faire vous dérangez… C’est vraiment le ressenti de ces dernières années et c’est bien dommage. On prétexte la diversité mais dans les faits tu dois te taire et appliquer ce qu’ils ont conçu. D’ailleurs je dois dire la vérité, sur la fin de ma carrière je n’en pouvais plus !
- Rêvons et imaginons que tu partages le pouvoir politique, que ferais-tu pour la musique sous tous ses aspects dont le social savoir le bonheur qu’elle peut donner, les ressources économiques qu’elle peut générer, quelles mesures tu suggérerais ?
Déjà je mettrais en œuvre l’étude économique que j’ai toujours suggérée mais qui n’a jamais été réalisé: une étude sur le milieu culturel et la filière professionnelle pour,- mesurer les flux et les investissements, permettrel’emploi en musique, dans l’audiovisuel le théâtre, le cinéma, les arts plastiques, pour mesurer la portée économique de la production culturelle par secteurs.
Ensuite probablement sur le mode de l’île de La Réunion, créer un pôle territorial de la musique ou plus largement de la culture.
Je contribuerais à une politique d’équipement du territoire en salles de production, d’espaces de spectacle.
En plus j’impulserais une vraie politique de relations internationales et d’exportation (cf. en piècejointe ) (liste des propositions adressées à des candidats suite à leur sollicitations…)
- Ton regard rétrospectif sur ce qui a pu être accompli avec le festival Biguine-Jazz, le festival de la Biguine et des Musiques Traditionnelles. Peut-on aller plus loin et comment?
J’ai créé ce festival par un ressenti et une conviction, que le jazz des Antilles Guyane et plus largement des espaces dits créoles et afro-caribéen existait et devait prenne sa place dans le jazz mondial
J’ai beaucoup écouté et aimé Chick Corea, Herbie Hancock, Miles Davies , Keith Jarrett, John Coltrane, Weather Report et tous les autres…
J’ai vu beaucoup de concerts lors de mes études, à Paris entre 1975 et1980 et en travaillant avec le CMAC à l’époque, je voyais défiler nombre d’artistes américains. Et alors j’ai opté pour que notre jazz véhiculé par Marius Cultier, Pierre et Eddy Louis, Alain Jean-Marie,FAL Frett, AL Lirvat, Emilien Antille, Paulo Rosine et bien d’autres participe à cette échange mondial, en créant ce festival.
Biguine-Jazz, c’est le premier festival dédié à un jazz nouveau et singulier, celui de la francophonie, des Antilles C’est une ouverture sur le monde en étant nous-même .Notre credo de départ « De l’enracinement à l’universel » . C’est également une ouverture sur la modernité et la performance. En même temps, c’est une ouverture sur les musiques créatives des outre-mer (slogan des débuts du festival)
Il ne fallait pas rester spectateur au développement mondial du jazz et de la création contemporaine ce que les musiciens du Latin-jazz ont fait auparavant.
En même temps, Biguine-Jazz pour nous c’est un langage d’avenir, une contribution a la création et à une certaine éducation à la musique d’écoute et de contemplation.
De très nombreux jeunes y ont fait les premier pas Xavier Belin, Gregory Privat, Maher Beauroy, Guy-Marc Vadeleux et bien d’autres. Nous avons été les premiers à accueillir Tricia Evy, Ralph Lavital , mais aussi des projets comme Tribute to MONA avec Éric Peduran, Tribute to Stellio avec Jowie Omicil , Tribute to Kali avec Joël Lutbert et Dominique Berose , Tribute to Malavoi avec Maher et Triycia Evy , Carlos Rotzen
Le soutien renouvelé de la Région d’abord, de la CTM ensuite est une traduction de notre connexion avec les instances du territoire, quelques partenaires privés se joignent également à nous .Nous en sommes à la 18 ème édition en 2021!
Il faut rappeler l’initiative de 2020, autour de la résidence de création et la sortie très prochaine de l’album Biguine-Jazz Collective et la diffusion du 52 minutes, un réalisé par la jeune Marina J’allierai et qui sera diffusé sur le réseau Martinique 1ere le 20 avril 202.
La Fête de la Biguine et des musiques traditionnelles est un nouveau rendez-vous que nous avons matérialisé en 2019 ; son objectif est certes de vitaliser nos musiques traditionnelles mais a été conçu également dans le but de renforcer l’offre culturelle auprès de nos visiteurs en faisant découvrir nos productions traditionnelles.
- Peut ton aller plus loin ?
Evidemment OUI, On peut toujours aller plus loin, on doit aller plus loin faire preuve d’imagination et de créativité en permanence !
Chaque édition est un nouveau défi, de nouveaux partages, de nouveaux plaisirs…
Nous sommes à la fois ancrés dans notre histoire et ouverts sur le monde.
Chacune de nos manifestations a des ambitions pédagogiques, il faut toujours chercher à apprendre comprendre et s’élever.
Il faut aussi s’unir et se mobiliser pour être acteur de notre développement et de celui de nos patrimoines
L’identité et sa mise en valeur sont une condition de notre développement, tout comme une sociabilité effective.
Au-delà de ces actions nous allons proposer sous le label « MARTINIQUE MUSIQUES » plusieurs autres projets toujours dans la même optique -: activer l’élévation culturelle et favoriser une connaissance et une participation plus fertile de la culture au développement durable
- En cette veille du renouvellement du personnel politique de la collectivité principale de ce pays qu’as-tu à dire aux politiques, concernant notre devenir en général?
Si je devais dire un message ce serait de sensibiliser à davantage d’humanisme, d’éviter trop des confrontations belliqueuses et antagoniques qui ne nous avancent à rien.
Ensuite de tout faire pour cultiver des vertus, une orientation de fraternité et de tolérance.
La culture n’est pas que la fête, ce n’est pas non plus un affichage ni de l’activisme, c’est une construction sociale émancipatrice.
Nous sommes infinitésimaux dans le monde et si notre territoire pouvait devenir exemplaire dans la propreté, la pondération, la culture, les arts et l’éducation artistique, nous objectifs pourraient être atteints.
Il nous faut éviter les pièges des intérêts personnels et favoriser un développement durable total qui prend en compte une démarche à long terme d’inventivité, d’éducation sociale.
Passion, certitude et colère, vengeance violence sont à bannir, ils ne font qu’exacerber la haine de l’autre et sont destructeurs et préjudiciables à notre indispensable et urgente harmonie sociale.
Propos recueillis par Gérard Dorwling-Carter.