La diversité des sources et des modes d’approvisionnement s’est doublée d’une diversification des vaccins aux caractéristiques, performances, indications et schémas de dispensation différents. Au Sénégal par exemple, un total de 1 467 200 doses des vaccins Sinopharm, AstraZeneca et Johnson & Johnson avait été fourni au 5 août 2021 lors de neuf livraisons de cinq fournisseurs non coordonnées, aux volumes compris entre 25 000 et 324 000 doses. Les périodes de rupture de stock induites par l’irrégularité des livraisons ont retardé sur des sites une partie des secondes injections (voir le graphe « Daily Covid-19 vaccine doses administered »). Inquiétées par la vague épidémique observée en juillet, des personnes ne pouvant accéder à la seconde dose de leur vaccin initial ont eu recours à des schémas non validés en combinant des vaccins différents.
Ainsi, le manque d’accès aux vaccins ne se traduit pas seulement par des files d’attente (qui révèlent qu’un service de santé dispose de vaccins) mais par des approvisionnements non planifiables et des protections immunitaires individuelles absentes, partielles ou incertaines.
L’acceptabilité des vaccins et de la vaccination
L’acceptabilité du vaccin est souvent abordée sous l’angle de l’hésitation vaccinale, une notion appliquée à des formes diverses de refus ou de report de la vaccination. L’OMS l’associe à l’infodémie et la mésinformation portée par les rumeurs et les fake news, souvent produites par des tendances anti-vaccins ou des groupes conspirationnistes.
Nos premières enquêtes sur le sujet, menées en octobre 2020, avaient montré des réticences vis-à-vis d’un futur vaccin et les logiques sous-jacentes. Lorsque les vaccins sont devenus disponibles mi-février 2021 au Sénégal, les attitudes ont basculé, comme l’ont montré les dashboards de suivi hebdomadaire de l’acceptation. Ces enquêtes sont menées auprès de groupes peu représentatifs de l’ensemble de la population, mais elles décrivent significativement des évolutions. L’augmentation du taux d’acceptabilité passée de 35 à 75 % traduit une adhésion pragmatique, influencée par la diffusion de messages officiels en faveur du vaccin et par la médiatisation de la vaccination de personnalités publiques.
Mais en mars, la médiatisation intensive des effets indésirables du vaccin AstraZeneca sur les chaînes internationales d’information continue fait chuter ce taux. L’adhésion va ensuite fluctuer pour des raisons diverses, sur fond d’informations qui dénigrent tous les vaccins anti-covid. Certaines personnes refusent l’AstraZeneca, perçu comme trop risqué, et attendent que le vaccin Sinopharm soit de nouveau disponible ; d’autres devant recevoir leur seconde dose sont confrontées à la rupture de stock en AstraZeneca ; d’autres enfin refusent une première dose de Sinopharm dans l’attente d’un troisième vaccin annoncé.
En juillet, une troisième vague épidémique installée en l’espace de deux semaines va provoquer une forte augmentation de la demande. Les centres de santé n’ont alors pas assez de doses et les files d’attente débutant tôt le matin s’allongent. Cette demande, en l’absence de campagne de vaccination organisée ou de communication intensive, parait motivée par la prise de conscience du risque infectieux et par l’expérience collective de la maladie : atteinte des proches, augmentation du nombre de décès de personnalités ou d’anonymes après de « courtes maladies », médias relatant les difficultés croissantes d’accès à l’oxygénothérapie pour les cas graves, plaintes récurrentes de professionnels de santé débordés par les patients Covid et crainte du variant Delta.
Les autorités sanitaires gèrent la situation par l’annonce d’arrivages prochains de vaccins, ce qui permet de tempérer une demande dépassant largement les capacités journalières de vaccination.
Le rapport entre accès et acceptation
L’évolution en quatre phases de l’acceptabilité de la vaccination observée au Sénégal apparaît très liée à l’accessibilité des vaccins.
Dans une première phase, les vaccins inaccessibles suscitent la méfiance et le doute en contexte d’infodémie, ainsi que des prises de position ambivalentes et changeantes, ce qui correspond à la définition initiale de « l’hésitation vaccinale ».
La seconde phase, lorsque le vaccin est mis à disposition, matérialisé et socialisé par la vaccination, provoque un engouement même parmi des personnes auparavant réticentes : les termes acceptation ou demande, moins négatifs qu’hésitation, semblent plus appropriés pour qualifier les attitudes.
La demande est inégale lors de la troisième phase, quand les vaccins initiaux ne sont plus disponibles partout et que d’autres vaccins arrivent : les perceptions et attitudes deviennent plus spécifiques de chaque vaccin, alors que des informations contradictoires circulent sur certains. Les représentations intègrent non seulement les qualités du produit, mais aussi les modalités d’approvisionnement. Nos entretiens rapportent que le vaccin AstraZeneca, par exemple, est perçu par des Sénégalais comme élaboré pour les Européens (du fait que ce dernier est recommandé aux plus de 55 ans en France, alors que la population africaine est plus jeune), et donné à l’Afrique parce que les Européens n’en veulent plus à cause de ses effets indésirables.
D’autre part, des personnes retardent leur venue dans un site de vaccination afin d’obtenir un vaccin spécifique qu’elles savent alors en rupture de stock. La demande apparaît comme un compromis entre opportunités (disponibilité, modalités d’accès) et perceptions des vaccins (choisis de manière à éviter des effets négatifs).
L’engouement de la quatrième phase déborde les capacités du programme de vaccination. La demande n’a pourtant pas été soutenue par une campagne de communication, une stratégie communautaire ou des mesures dans les entreprises, mais elle est devenue massive du fait de la prise de conscience du risque. La quête de vaccin s’est individualisée : chacun cherche à compléter son statut vaccinal en naviguant selon les opportunités d’accès, ce qui le conduit parfois loin des schémas recommandés par l’OMS.
De l’hésitation à la demande
Au final, les observations réalisées au Sénégal montrent que les opinions, attitudes et comportements face au vaccin et à la vaccination sont évolutifs, sensibles au contexte. Outre les problèmes théoriques que pose la notion d’hésitation vaccinale, amplifiés par les confusions entre définitions de sens commun et scientifique, cette notion semble trop réductrice, notamment du fait de sa connotation négative.
Des attitudes positives envers le vaccin peuvent émerger jusqu’à dépasser les capacités des systèmes de soin, comme cela a été le cas au Sénégal en juillet. Dans ce pays, l’hésitation a dominé lorsque le vaccin n’était encore qu’un objet idéel soumis à l’influence des médias, mais les expériences ont favorisé son acceptation, devenue demande dans le contexte alarmant de la nouvelle vague épidémique.
L’acceptabilité de la vaccination est devenue indissociable de celle du (des) vaccin(s) lorsque plusieurs d’entre eux ont été disponibles, selon des modalités inégales. Les populations qui « font la queue » pour se vacciner n’ont pas abandonné toute méfiance et pourraient de nouveau déserter les sites de vaccination, ou développer des stratégies individualisées, selon l’évolution du contexte épidémique, de l’approvisionnement, du dispositif et des stratégies de vaccination et de communication.
L’enjeu de l’accès au vaccin en Afrique n’efface pas celui de l’hésitation ou la demande. Un accès limité, contraint, partiel et imprévisible, fragilise aussi l’acceptation du vaccin et l’efficacité de la vaccination.