Le secteur du bâtiment et des travaux publics, qui représente plus de 14 % des entreprises guadeloupéennes, se trouve aujourd’hui dans une posture si délicate que certaines sociétés se demandent littéralement si elles ne devraient pas fermer définitivement leurs portes. Les perspectives pour la fin de 2024 et l’année 2025 semblent particulièrement sombres, générant une vive inquiétude parmi les acteurs économiques. Cette crise n’est pas seulement une énième difficulté cyclique, mais bien l’une des plus graves que ce secteur ait connu depuis longtemps. Les répercussions sont telles qu’elles risquent de se propager à d’autres pans de l’économie locale, exacerbant encore la fragilité du tissu économique de l’archipel.
L’un des problèmes majeurs qui plombent la reprise du BTP en Guadeloupe réside dans les sempiternelles difficultés liées à l’insuffisance de la commande publique, aux délais de paiement des collectivités et des organismes publics. Ce problème n’est certes pas nouveau, mais il s’aggrave de façon chronique, alimentant un cercle vicieux qui freine toute tentative de redynamisation. La loi prévoit un délai de paiement de 30 jours, mais ce délai n’est que rarement respecté. En réalité, les paiements peuvent prendre plusieurs mois à être effectués, mettant les entreprises dans une situation financière précaire. Les intérêts moratoires, censés être versés en cas de retard de paiement, ne sont pas non plus appliqués, ce qui prive ces entreprises d’une compensation pourtant légitime.
Face à ces retards, les entreprises se retrouvent étranglées financièrement, incapables de faire face à leurs obligations. Cette asphyxie conduit à des refus de livraison de la part des fournisseurs, rendant la situation encore plus complexe. Beaucoup d’entreprises accumulent ainsi des dettes fiscales et sociales, tandis que les huissiers de l’URSSAF et de la CGSS se multiplient à leurs portes. Cette situation de quasi-faillite provoque une déstabilisation non seulement du secteur du BTP, mais également de celui de l’immobilier.
L’immobilier, autrefois perçu comme un investissement sûr et prisé par les classes moyennes pour constituer un patrimoine ou préparer sa retraite, est lui aussi plongé dans une crise sans précédent. Plusieurs raisons expliquent cette chute : la conjoncture économique défavorable, la hausse des taux d’intérêt, la baisse des transactions, et la chute des prix des biens. À cela s’ajoute une fiscalité jugée excessive et une avalanche de nouvelles normes imposées par l’État, notamment sous l’impulsion d’Emmanuel Macron. Ce cadre législatif contraignant a transformé l’investissement immobilier en un véritable chemin de croix pour les propriétaires et promoteurs.
Cette situation désastreuse, que de nombreux acteurs du secteur avaient pourtant prédit depuis des années, atteint désormais son paroxysme. Les constructeurs de maisons individuelles sont particulièrement touchés, suivis de près par les promoteurs de logements collectifs. Même les agents immobiliers et les notaires, habituellement des piliers du marché immobilier, sont contraints de réduire leurs activités face à la chute drastique des transactions. Chaque mois d’inaction coûte ainsi des emplois précieux au secteur de la construction et de l’immobilier, creusant un peu plus les difficultés économiques de la région.
Plusieurs facteurs défavorables expliquent cette crise multiforme. En premier lieu, la hausse fulgurante des prix des matériaux de construction, qui ont augmenté de 20 à 25 % en un an, pèse lourdement sur le coût global des logements. À cela s’ajoute une explosion des taux d’intérêt, qui ont grimpé de 1 % à 4 % en quelques mois à peine, rendant l’accès au crédit de plus en plus difficile, voire impossible pour les ménages modestes. La suppression du Prêt à Taux Zéro (PTZ) pour l’accession à la propriété dans le neuf vient parachever ce tableau déjà sombre. Enfin, les nouvelles normes de construction, comme la réglementation RE2020, alourdissent encore la facture des projets immobiliers.
Face à cette situation, les primo-accédants, ainsi que les ménages aux revenus moyens et modestes, se retrouvent exclus du marché du logement neuf. Incapables de suivre l’augmentation des prix et des crédits, ils se tournent de moins en moins vers l’achat immobilier, entraînant une chute dramatique des ventes. Cette baisse des transactions immobilières a un effet direct sur l’activité des entreprises du BTP, qui dépendent en grande partie de la construction neuve. Ainsi, tout un pan de l’économie guadeloupéenne se trouve fragilisé, victime d’une conjonction de facteurs défavorables contre lesquels il devient urgent d’agir.
Les professionnels du BTP et de l’immobilier en Guadeloupe se retrouvent donc dans une situation critique. Sans intervention rapide et coordonnée des pouvoirs publics, cette crise pourrait bien se transformer en véritable catastrophe économique pour l’archipel. Alors que chaque mois qui passe aggrave un peu plus la situation, l’urgence d’une réponse devient plus pressante que jamais.
Jean marie Nol économiste