Face à l’escalade des tensions en Martinique provoquée par la crise du coût de la vie, le préfet Jean-Christophe Bouvier, en collaboration avec Justin Pamphile, président de l’association des maires de Martinique, a tenu une réunion avec ces élus locaux pour réfléchir à une gestion concertée de la situation. Il explique dans cette interview les enjeux de cette rencontre, ses observations sur le rôle des maires et sa vision d’une sortie de crise durable, qui doit, selon lui, être avant tout martiniquaise et politique.

Photo de couverture : De gauche à droite : Paul-François Schira, Directeur de cabinet du préfet de la Martinique, Jean-Christophe Bouvier, Préfet de Martinique, David Zobda, Maire du Lamentin accueillant la réunion, Justin Pamphile, Président de l’Association des Maires de Martinique.


Nous reviendrons sur cette réunion avec l’interview/avis du président de l’Association des Maires de Martinique Monsieur Justin Pamphile


Pour Jean-Christophe Bouvier:

“Une solution de crise qui doit être martiniquaise et politique”

Qui a pris l’initiative de cette réunion et dans quel but ?
J-C Bouvier :
 Cette réunion a été organisée conjointement par l’État et l’association des maires de Martinique. L’objectif était de créer un espace de dialogue apaisé pour aborder les questions cruciales que soulèvent la crise actuelle, notamment les manifestations contre le coût de la vie et l’usage de la force publique. La participation active des maires était essentielle, car ils sont les relais de proximité avec la population. Ils comprennent les aspirations et les frustrations locales mieux que quiconque, et leur implication dans la gestion de cette crise est fondamentale pour restaurer la confiance entre les citoyens et les autorités. Selon moi, les maires sont les garants de la démocratie locale, parce qu’ils détiennent la clé pour interagir efficacement avec la population et apaiser les tensions.

Quel a été le ressenti général des maires pendant cette réunion ?
J-C Bouvier : Lors de cette rencontre, de nombreux maires ont exprimé un sentiment de frustration face aux crises locales. Ils ont souligné que, bien qu’ils soient présents et impliqués, leur rôle est parfois méconnu ou minimisé, notamment lorsqu’il s’agit de gérer les manifestations et les tensions sociales. Cette réunion a donc permis de reconnaître leur importance dans la gestion de cette crise. Les maires souhaitent être tenus informés et impliqués avant toute intervention de la force publique, afin d’envisager des solutions pacifiques et d’éviter une escalade de la violence. Ils estiment que leur connaissance fine des dynamiques locales et leur proximité avec les citoyens peuvent aider à désamorcer les conflits en amont.

Presque tous les Maires étaient présents ou représentés

La question de l’utilisation des CRS et des forces de l’ordre a-t-elle été abordée ?
J-C Bouvier : La réunion n’a pas spécifiquement porté sur la présence des CRS ou des gendarmes mobiles, mais plutôt sur les conditions d’usage de la force publique dans le maintien de l’ordre. Nous avons discuté de l’importance de préserver la sécurité tout en respectant le droit légitime des Martiniquais à manifester. Il y a eu un consensus sur le fait que l’usage de la force doit être mesuré et proportionné. La majorité des participants ont convenu qu’il est nécessaire de distinguer les manifestations pacifiques des actes de violence et de délinquance. Il est primordial de permettre aux citoyens de manifester sans peur d’une intervention brutale, tout en prenant des mesures contre ceux qui cherchent à nuire ou à entraver des activités essentielles, comme le ravitaillement des centrales ou l’accès aux services médicaux. Ce consensus reflète une volonté collective d’instaurer un climat de respect et de sécurité, tout en affirmant que le recours à la force doit être une réponse de dernier recours.

“Ce sont les élus martiniquais, en collaboration avec les acteurs locaux, qui détiennent les clés d’une solution de long terme”

Selon vous, quelle serait la meilleure voie pour sortir de cette crise ?
J-C Bouvier : Une sortie de crise durable en Martinique doit être trouvée localement et politiquement, sans dépendre uniquement des mesures de maintien de l’ordre. Les forces de l’ordre peuvent gérer les manifestations et rétablir la sécurité temporairement, mais elles ne peuvent pas résoudre les causes profondes de la contestation. Ce sont les élus martiniquais, en collaboration avec les acteurs locaux, qui détiennent les clés d’une solution de long terme. Plusieurs élus ont évoqué un protocole récemment signé comme un pas en avant, bien que celui-ci ne représente pas une solution complète. Ce protocole doit être perçu comme une première étape vers un modèle de développement plus adapté aux besoins de la population martiniquaise, incluant une meilleure prise en compte des réalités économiques et sociales locales. En résumé, la sortie de crise nécessite une approche inclusive qui reconnaisse les spécificités martiniquaises et encourage une véritable autodétermination dans les décisions locales.

“Il est essentiel de rétablir rapidement la stabilité pour éviter un effondrement économique dont les effets se feraient sentir pendant de nombreuses années.”

Quel est l’impact économique de cette crise sur la Martinique, en particulier pour les petites entreprises ?
J-C Bouvier : Les conséquences économiques de cette crise sont extrêmement préoccupantes, surtout pour les petites entreprises, qui constituent une grande partie du tissu économique martiniquais. La crise actuelle affecte directement les commerces de proximité et les entreprises de moins de dix salariés, qui souffrent d’une baisse d’activité alors que la haute saison touristique commence. Ces entreprises, qui peinent déjà à se maintenir à flot, risquent de ne pas pouvoir assumer leurs charges salariales, ce qui pourrait entraîner une vague de fermetures et de licenciements dans les semaines à venir. Il est essentiel de rétablir rapidement la stabilité pour éviter un effondrement économique dont les effets se feraient sentir pendant de nombreuses années. Les pertes économiques se chiffrent déjà en millions d’euros, et chaque jour de blocage aggrave la situation.

Justement, quels dispositifs l’État a-t-il mis en place pour soutenir les entreprises martiniquaises en difficulté à cause des récents événements ?
J-C Bouvier :  En réponse aux destructions et aux difficultés économiques engendrées par les manifestations, l’État a activé plusieurs dispositifs de soutien pour les entreprises de moins de 400 salariés. Les entreprises impactées peuvent s’adresser au conseiller départemental aux entreprises en difficulté (CDED) pour être orientées vers le dispositif adapté à leur situation. Parmi les mesures disponibles, il y a le dispositif d’activité partielle, permettant de couvrir les salaires en cas de réduction d’activité, des délais de paiement pour les dettes fiscales et sociales via la commission des chefs de service financiers, et le CODEFI, qui offre des audits et des prêts pour la restructuration d’entreprises en difficulté. Par ailleurs, le commissaire à la vie des entreprises, sous mon autorité, est chargé d’accompagner ces entreprises dans le redressement de leur activité. Mais au-delà, il est nécessaire d’identifier rapidement des modalités d’accompagnement des entreprises qui répondent aux circonstances exceptionnelles que nous connaissons.

Quel message souhaitez-vous transmettre aux Martiniquais, en particulier aux manifestants ?
J-C Bouvier : J’appelle chacun à prendre conscience des conséquences de ses actions sur la collectivité. Manifester est un droit constitutionnel, mais cela doit se faire dans le respect des personnes et des biens. L’objectif de notre réunion était de trouver des moyens pour que la colère légitime des Martiniquais s’exprime de manière constructive, sans recourir à la violence. Les forces de l’ordre ne sont pas responsables de la cherté de la vie en Martinique ; elles sont là pour protéger la sécurité de tous. Il est essentiel de privilégier le dialogue et de se rappeler que seule la raison permettra de sortir de cette crise de manière apaisée et durable.

Philippe PIED

 

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