“Notre mission est claire : transformer la crise des sargasses en une opportunité durable pour notre territoire.”

Créé en 2023, le Groupement d’Intérêt Public (GIP) Sargasses a pour mission de coordonner les efforts visant à contrer l’invasion des sargasses en Martinique. Soutenu par l’État, la Collectivité Territoriale de Martinique (CTM), et les trois établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), ce nouvel organisme a pour ambition de transformer une crise environnementale en opportunité, en mettant en place des stratégies de gestion, de valorisation, et de communication. Dans cet entretien Frédérick Voyer, le premier directeur du GIP Sargasses, nous partage les perspectives et les premières actions envisagées pour relever ce défi.

Frédérick Voyer, directeur du GIP Sargasses

Étant donné que votre organisme est assez jeune, a-t-il eu le temps de réaliser des actions, jusqu’à aujourd’hui ?

Non, pas encore. Aucune action concrète n’a été réalisée jusqu’à présent. Pour l’instant, seul le recrutement a été effectué. Cependant, c’est le début de la phase opérationnelle pour le GIP Sargasses.

En tant que premier directeur, quelles sont vos perspectives ?

Tout d’abord, je vais devoir mettre en place une organisation solide pour le GIP Sargasses. Cela inclut la recherche d’un siège définitif, la définition des moyens opérationnels nécessaires, et l’acquisition des équipements de protection individuelle pour les employés, entre autres.

Ensuite, il faudra élaborer une stratégie claire pour le GIP, notamment sur plusieurs volets importants. Cela inclut la collecte des sargasses, la protection des côtes à l’aide de barrages, la gestion des relations avec les parties prenantes, l’exploitation des ressources, ainsi que la communication, surtout auprès des usagers, pour les informer des actions mises en place et sur ce que sont les sargasses. Enfin, il sera essentiel de définir des solutions pour le stockage des sargasses et d’explorer les possibilités de valorisation de ces algues.

Vous avez obtenu un budget de 1,39 million d’euros pour l’année 2024, de la part de l’Etat. Avec celui-ci, comment allez-vous allouer ces fonds pour maximiser l’efficacité des interventions ?

Nous allons d’abord investir dans la création d’un site pilote pour le stockage des sargasses. C’est une priorité pour tester et optimiser les méthodes de gestion de ces algues. Ensuite, une partie du budget sera dédiée à la mise en place de nouveaux barrages et à l’établissement de marchés pour la maintenance des barrages existants. Cela garantira la pérennité de leur fonctionnement et renforcera la protection des côtes.

Nous prévoyons également de soutenir les communes dans leurs efforts de collecte des sargasses sur terre, en leur fournissant des financements et éventuellement en mettant en place des marchés spécifiques pour les accompagner dans cette tâche. Enfin, une portion du budget sera consacrée à des actions de communication, afin d’informer et de sensibiliser le public sur les actions entreprises et les enjeux liés aux sargasses.

Au Diamant…

Qu’est-ce qu’un “site pilote” ?

Un site pilote est un projet expérimental utilisé pour tester des méthodes avant de les généraliser. Pour le stockage des sargasses, il s’agit de créer des installations mieux contrôlées. Actuellement, le stockage se fait en urgence, ce qui peut poser des problèmes environnementaux, notamment à cause des gaz dégagés lors de la décomposition des algues et des éléments présents dans les sargasses. Le site pilote permettra de tester des solutions pour gérer ces impacts, comme la récupération des liquides de séchage et des traitements pour protéger l’environnement.

Comment le GIP Sargasses compte-t-il collaborer avec les entreprises locales pour exploiter les potentialités économiques des sargasses ?

Le GIP Sargasses envisage plusieurs axes de collaboration avec les entreprises locales. D’abord, la collecte des sargasses sur terre fait appel à des contrats avec des associations locales, notamment celles spécialisées dans la réinsertion, pour assurer la collecte manuelle sur des sites inaccessibles aux engins lourds.

Ensuite, la collecte en mer et l’installation de barrages impliquent également les marins-pêcheurs, qui contribuent à la récupération des sargasses en mer. Le GIP souhaite également développer des formations spécifiques en partenariat avec des écoles de pêche et autres organismes, pour former du personnel qualifié dans la collecte des sargasses, que ce soit sur terre ou en mer. Enfin, le GIP est ouvert à tous les porteurs de projets, locaux ou caribéens, pour explorer les possibilités de valorisation économique des sargasses, renforçant ainsi la coopération régionale dans ce domaine.

Concernant les formations en lien avec cette problématique, avez-vous déjà des idées en tête ?

Pour l’instant, nous n’avons pas d’idées précises, mais nous savons que nous voulons mettre en place des formations pour améliorer les compétences des personnes impliquées, de près ou de loin, dans la gestion des sargasses. Nous envisageons de collaborer avec des écoles de pêche, étant donné que les marins-pêcheurs participent à la collecte en mer. De plus, nous pourrions nous rapprocher des lycées agricoles pour offrir des formations spécifiques aux élèves sur la gestion et la valorisation des sargasses. L’objectif est de développer des compétences adaptées aux différents aspects de cette problématique.

Le GIP Sargasses est lancé

Vous avez beaucoup de stratégie de communication. Quels sont les principaux axes que vous allez mettre en place pour sensibiliser la population ?

Notre stratégie de communication est en cours de développement et vise plusieurs cibles. Nous voulons renforcer la communication avec les partenaires impliqués dans la lutte contre les sargasses, en partageant des informations cruciales, comme les données de surveillance des zones touchées (capteurs de gaz, surveillance visuelle) et les prévisions d’échouage qui sont réalisés par Meteo France. Cela permettra d’anticiper les interventions sur les secteurs prioritaires et de réagir efficacement.

Une autre priorité est de sensibiliser le grand public en lui fournissant des informations claires sur ce que sont les sargasses, les risques qu’elles représentent, les actions mises en place pour les gérer, et les améliorations possibles. L’objectif est d’éduquer les usagers sur la problématique des sargasses, pour qu’ils comprennent mieux l’impact de cette situation et les solutions envisagées.

En Guadeloupe, des chimistes ont mené des expériences sur la sargasse et ont découvert qu’il était possible de l’utiliser pour lutter contre la molécule du chlordécone. Travailler avec ce genre de chercheurs pourrait-il être intéressant pour le GIP ?

C’est effectivement une opportunité prometteuse. Bien que les sargasses posent de nombreux problèmes, il est essentiel de voir leur potentiel. Les recherches en cours, comme celles qui explorent l’utilisation des sargasses pour traiter le chlordécone, montrent que ces algues peuvent être revalorisées de manière innovante. Depuis ma nomination, j’ai été contacté par diverses entreprises et associations intéressées par la valorisation des sargasses, ce qui est très encourageant. Le GIP Sargasses peut jouer un rôle moteur dans ce domaine, en collaboration avec des partenaires comme l’ADEME, qui peuvent offrir un soutien financier pour ces projets.

Cependant, il est crucial d’aller au bout de ces études pour s’assurer que les solutions proposées ne créent pas de nouveaux problèmes, notamment en prenant en compte les composants toxiques comme l’arsenic présent dans les sargasses. L’objectif est de développer des solutions viables et durables qui transforment ce défi en une opportunité sans ajouter de risques supplémentaires.

Le GIP Sargasses n’est pas seulement une réponse à une crise, c’est un moteur d’innovation pour toute la Martinique.

Quelle est votre vision à long terme pour la lutte contre les sargasses en Martinique ?

La priorité est de réduire les impacts des sargasses sur les usagers et les riverains. Cela implique la mise en place de processus, équipements et opérations efficaces pour minimiser les désagréments causés par leur accumulation sur les plages et dans les zones côtières.

Plutôt que de les considérer uniquement comme un déchet à éliminer, il est crucial de les voir comme une ressource potentielle. Avec les politiques de développement durable et d’économie circulaire en place, nous devons explorer les possibilités de transformation et de réutilisation des sargasses pour créer de nouveaux produits utiles, qu’il s’agisse d’applications économiques, industrielles ou personnelles.

L’objectif est de transformer la crise des sargasses en une opportunité, en faisant en sorte que ces algues, au lieu d’être perçues comme un problème, deviennent une ressource bénéfique pour les habitants de la Martinique et pour d’autres territoires touchés. Pour les années à venir, il est crucial de rechercher des fonds et des partenaires financiers pour financer les projets liés aux sargasses, tels que les barrages, les marchés de collecte et les équipements nécessaires. La gestion des sargasses engendre des coûts élevés, donc une stratégie financière solide est essentielle pour soutenir les objectifs du GIP et assurer le succès des initiatives.

Propos recueillis par Thibaut Charles

Que sont les sargasses ?

 

Les sargasses sont un type d’algues brunes flottantes qui prolifèrent dans l’océan Atlantique, principalement dans la région du Sargasso, une zone située au large des côtes nord-américaines. Elles sont connues pour former de vastes amas flottants qui peuvent dériver sur des milliers de kilomètres, poussés par les courants marins et les vents.

Ces algues ont toujours fait partie de l’écosystème marin, mais depuis le début des années 2010, on observe une augmentation spectaculaire de leur présence, notamment dans les Caraïbes, les côtes du Golfe du Mexique et l’Afrique de l’Ouest. Cette prolifération est principalement attribuée à des facteurs tels que le réchauffement climatique, l’augmentation des nutriments dans l’océan due à l’agriculture intensive, et la déforestation en Amazonie qui contribue à enrichir l’océan en matières nutritives.

Lorsque les sargasses échouent sur les côtes, elles se décomposent et dégagent du sulfure d’hydrogène, un gaz toxique qui peut causer des problèmes de santé chez les humains et des dommages économiques importants, notamment dans les secteurs du tourisme et de la pêche.

Ce phénomène a conduit à la mise en place de mesures de gestion et de valorisation, comme celles développées par le GIP Sargasses en Martinique, afin de minimiser les impacts négatifs sur les populations côtières.

 

 

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