Claudine Neisson-Vernant dévoile les enjeux pour la Distillerie Neisson’’

“Si la route se fait telle que prévue, elle portera atteinte à notre distillerie bio , à l’aire AOC de Martinique , à la biodiversité remarquable de nos parcelles, au  patrimoine du Nord Caraïbe . 

Ce mercredi 28 août, Claudine Neisson-Vernant, gérante des rhums Neisson, a accueilli la presse pour aborder un conflit environnemental et économique qui menace la distillerie bien connue de tous. Reconnue pour son engagement envers la production durable et biologique, la distillerie Neisson est confrontée à un projet d’élargissement de route par la municipalité du Carbet, mettant en péril ses terres agricoles classées AOC et bio. Les travaux en cours risquent non seulement de causer des dégâts environnementaux, mais aussi de compromettre la pérennité de l’entreprise. Mme Neisson-Vernant a exprimé ses profondes inquiétudes quant à l’impact de ce projet, tandis que le Tribunal administratif doit se prononcer demain, le 30 août, sur une demande d’arrêt des travaux.


NDLR : Sur ce même site internet, et dans l’article qui suit, une interview du Maire du Carbet


Pouvez-vous nous expliquer le problème environnemental auquel vous faites face actuellement avec la mairie du Carbet ?

Claudine Neisson-Vernant : Le problème concerne un chemin dit “Route de Belfond” qui traverse notre propriété. La mairie souhaite l’élargir et le bétonner pour en faire une route à deux voies, ce qui ne peut se faire qu’en amputant nos parcelles AOC. J’ai appris ce projet tardivement, fin novembre 2023, et n’ai pas pu obtenir de plan détaillé malgré mes demandes. Nous avons dû faire appel au tribunal administratif pour nommer un expert et avoir enfin connaissance de la réalité des travaux.

Ce chemin, autrefois une trace d’exploitation privée datant de 1932, apparaît maintenant au cadastre comme route communale, sans que la mairie m’ait apporté preuve de sa propriété de l’assise. Les contraintes liées à ces classements AOC et BIO découlent de cahiers des charges stricts pour préserver leur qualité. Récemment, la mairie, au prétexte d’une réfection de la voie, veut procéder à d’élargissement en une route bétonnée à deux voies avec trottoirs. Cette proposition pose plusieurs problèmes dramatiques pour nous, de sécurité et de fonctionnement quotidien ainsi qu’une atteinte à l’intégrité des terres de l’aire AOC Martinique avec de forts risques de pollution liée aux travaux.

“Nous sommes la seule entreprise du patrimoine vivant  (EPV ) de Martinique. Je suis loin d’être sûre qu’avoir une route à deux voies bétonnée telle qu’envisagée , soit compatible avec ce classement patrimonial.”

Quels sont les impacts spécifiques de ce projet sur la distillerie et ses activités ?

Claudine Neisson-Vernant : La route envisagée passerait au ras de notre chai de rhum blanc, un élément constitutif crucial pour notre production. Ce chai abrite 16 cuves, chacune de 20 000 litres, et est soumis à des normes strictes de sécurité en raison du risque d’incendie et d’explosion. La proximité extrême d’une route à deux voies, y compris en période de construction, compromettrait ces mesures de sécurité.

En outre, les travaux risquent d’entraîner une pollution de nos parcelles, ce qui est incompatible avec notre engagement envers l’agriculture biologique.

Comment la mairie a-t-elle réagi à vos préoccupations et quelles démarches avez-vous entreprises ?

Claudine Neisson-Vernant : J’ai appris l’existence de ce projet fin novembre 2023, mais ce n’est pas par la mairie. Après avoir demandé des documents et rencontré des difficultés pour obtenir des informations précises, nous avons dû recourir à une procédure judiciaire pour obtenir une expertise indépendante. Malheureusement, les travaux, qui ont débuté avant la 1ère réunion sur site avec l’expert nommé par le Tribunal Administratif, se sont poursuivis avec une vitesse prodigieuse  malgré nos demandes d’arrêt et de remise en état à l’identique des parcelles agricoles impactées. Nous avons également sollicité le soutien du Syndicat de Défense de l’AOC Martinique et de l’INAO pour protéger nos intérêts.

« Il est crucial de trouver un compromis qui permette de répondre aux besoins des riverains tout en sanctuarisant nos terres AOC et BIO »

Pouvez-vous nous en dire plus sur l’histoire et l’importance de la distillerie Neisson ?

Claudine Neisson-Vernant : La distillerie a été fondée ex abrupto en 1932 par mon oncle et mon père, issus d’une famille de commerçants de Saint-Pierre. Dans les années 50, il y avait 150 distilleries en Martinique, il ne reste plus que 7 distilleries AOC aujourd’hui. Nous sommes restés une entreprise familiale et indépendante. J’ai repris la direction en 1995, après une carrière de médecin, pour honorer la promesse faite à mon père, de transmettre la distillerie à son petit-fils Aujourd’hui, mon fils distille, et coiffe le développement commercial , et son fils débute dans l’entreprise. Nous sommes viscéralement attachés à la qualité, au lien au terroir, et au respect de l’environnement, avec une production bio à la Thieubert depuis 2019.

Que représente la distillerie Neisson pour le patrimoine martiniquais ?

Claudine Neisson-Vernant : Nous sommes la seule entreprise du patrimoine vivant de Martinique, (EPV) ce qui est une grande fierté. Notre distillerie fait partie intégrante du paysage et du patrimoine local, avec ses bâtiments historiques construits en moellons du Carbet, sa cheminée traditionnelle, son bassin de stockage des eaux de pluie. Nous perpétuons des savoir-faire uniques, comme la culture de nos propres levures pour la fermentation, ce qui donne un lien fort avec notre terroir. Notre approche environnementale, initiée par mon père et poursuivie par mon fils avec le passage au bio, est aussi un élément important de notre identité.

Au plan économique, nous sommes pourvoyeurs d’emplois pérennes dans le Nord Caraïbe, sommes partie prenante de la démarche collective de spiritourisme en Martinique et du rayonnement à l’international de nos rhums.

Quels sont les enjeux à long terme pour la distillerie si le projet se poursuit comme prévu ?

Claudine Neisson-Vernant : Si le projet continu tel qu’il est prévu, cela pourrait gravement nuire à notre activité. Outre les impacts sur la sécurité et la pollution, il y a un risque de compromettre notre statut de distillerie bio. Ce projet d’élargissement de la route pourrait s’expliquer par des visées d’urbanisation en amont (lotissements et autres), ce qui pourrait à terme, mener à la fermeture de la distillerie, comme cela a été le cas par le passé pour d’autres établissements.

Comment voyez-vous l’avenir de la distillerie et quels sont vos espoirs pour résoudre ce conflit ?

Claudine Neisson-Vernant : Nous espérons vivement que seront reconnus la valeur unique de notre distillerie ainsi que les enjeux environnementaux impliqués. Il est crucial de trouver un compromis qui permette de répondre aux besoins des riverains tout en sanctuarisant nos terres AOC et BIO.

Nous croyons fermement qu’une réflexion approfondie sur le projet, avec une prise en compte des spécificités locales et de l’impact sur les terres agricoles bio, est essentielle pour nous protéger et préserver notre avenir.

Ce conflit, entre la distillerie Neisson et la mairie du Carbet, illustre les tensions qui peuvent exister entre préservation du patrimoine, développement économique et enjeux environnementaux. Cette situation soulève des interrogations plus larges sur la gestion du patrimoine industriel et agricole dans les territoires d’outre-mer, ainsi que sur la place accordée à la concertation dans les projets d’aménagement locaux.

Philippe Pied, Thibaut Charles, Photos Roland Dorival


Dans l’article suivant une interview du Maire du Carbet


 

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