Nous poursuivons notre série de portraits du jeu vidéo avec Muriel Tramis, une véritable pionnière de l’industrie. De ses premiers pas dans le milieu dans les années 80 à aujourd’hui, en passant par sa nomination au rang de Chevalier de la Légion d’Honneur, son parcours reste unique à bien des égards. Nous avons pu échanger avec elle pour qu’elle nous livre sa vision du jeu vidéo, de son industrie, et des perspectives qu’elle entrevoit pour le medium.
Comment en êtes-vous venue à travailler dans l’industrie du jeu vidéo ?
C’est la conjonction de ma formation d’ingénieure en informatique et de mon goût pour les histoires, la littérature et l’écriture : le jeu vidéo était pile à la croisée des deux, je pouvais créer des histoires interactives. Mais j’ai commencé ma carrière dans l’armement : j’effectuais la programmation de drones militaires, c’était un milieu essentiellement masculin, j’étais la seule femme et très jeune, de surcroît. Puis j’ai eu des états d’âme, c’étaient des armes qui ne devaient pas rater leurs cibles. Les questions de précision et d’efficacité prenaient tout leur sens, je ne l’ai plus supporté et j’ai donné ma démission. Un jour, alors que je cherchais à effectuer un stage en Marketing, quelqu’un m’a parlé du studio Coktel Vision, qui démarrait à l’époque et qui développait des jeux ludo-éducatifs d’Histoire, de langues et adaptés de romans de la littérature française. J’ai trouvé l’ambiance sympa et cosmopolite, les collaborateurs venaient de divers horizons et le PDG, Roland Oskian, était très ouvert, il laissait à ses auteurs une grande liberté de création. J’ai donc proposé de programmer un scénario d’Histoire, mais d’Histoire de ma région, les Antilles. C’est comme ça que Méwilo, mon premier jeu vidéo, est né.
Comment vous êtes-vous sentie accueillie dans cette industrie, qui à l’époque n’avait pas la même image qu’aujourd’hui ?
J’ai été très bien accueillie par l’éditeur, justement parce que j’avais cette formation d’ingénieure, qui me permettait de comprendre la partie technique de la conception d’un jeu vidéo. Mais j’étais peut-être la seule femme ingénieure en informatique à aller vers les jeux vidéo à la fin des années 80… Quand j’ai parlé à mes collègues ingénieurs de ma volonté à travailler dans le jeu vidéo, ils m’ont tous dit que j’allais déprécier mon diplôme, me perdre dans des choses fantaisistes. Mais en réalité, le jeu vidéo était déjà très technique, d’autant que la technologie des images et des machines que nous utilisions évoluait très vite.