Le préfet a déclaré, dans le cadre d’une émission télévisée :
« Les élus martiniquais n’ont jamais travaillé ensemble pour établir un projet d’avenir. »
Il y a de quoi être mal à l’aise pour un élu, quel qu’il soit, d’entendre un tel propos de la part d’un préfet, surtout dans une situation de crise sociale où l’État a sa part de responsabilités.
Quelques rappels sur la situation dans laquelle se trouve la Martinique :
Des moyens insuffisants pour contrôler les prix; une carence de certaines ressources budgétaires (police nationale, lutte contre le narco-trafic, un système économique à bout de souffle, des retards de versements dus à la CTM par l’État, etc.); un afflux, persistant de fonctionnaires venus d’ailleurs ; une pression fiscale, devenant de plus en plus insupportable ; des radars de contrôle de vitesse dont on peut s’interroger sur leur réelle utilité…
Pourquoi donc le préfet critique-t-il ainsi, dans un contexte si délicat, les élus martiniquais et la Martinique ?
Quel est son objectif ?
Ces propos ne passent pas auprès de l’opinion
Quand on peut, légitimement, se poser la question de savoir comment établir un projet d’avenir lorsque nous sommes contraints par des dispositifs normatifs longs, centralisés et inadaptés, des carences et des retards de l’État ?
Peut-on dire que les collectivités locales (région, CTM) n’ont pas tenté de construire des projets ?
Pour mémoire, il convient de citer sans que cela soit exhaustif :
• Le Plan régional de développement porté par Alfred Marie-Jeanne lors de sa première mandature.
• Le PADM (Plan d’actions pour le développement de la Martinique) initié par Serge Letchimy.
• Le,Schéma territorial de développement économique et d’innovation (2020).
• Les divers Plans de relance.
• Les Contrats de convergence et de transformation de la Martinique. Etc.
Mais à l’occasion de cet incident, il convient plus de faire preuve de sagesse et d’essayer de comprendre ce qu’a voulu dire le représentant de l’État français à la Martinique.
En effet, les Martiniquais sont-ils mobilisés sur un plan de développement pour notre territoire qui fasse consensus? Peut-être qu’il y a davantage de perspectives de mandatures que de plans à long terme, qui seraient portés par une vision prospective commune.
Mettons de côté l’aspect abrupt de la déclaration du représentant de l’État et profitons avec humilité de cette occasion pour poser les vraies questions : ne sommes-nous pas plus attachés à mettre en relief nos différences et nos divergences plutôt que d’élaborer ensemble et surtout avec la population un schéma de développement économique de la Martinique ? Un projet qui exigerait la mise de côté du clientélisme auquel nous sommes habitués, la quête éperdue de dotations et subventions pour toutes sortes de projets individuels autres que pour le développement commun du territoire.
Un sentiment général de division : beaucoup pensent que ce qu’un élu met en place, un autre le défait et que c’est ainsi que l’on doit concevoir « la politique »!
LA RÉPONSE DU PRÉSIDENT DE LA CTM
Fallait-il répondre de cette manière, avec fougue, passion, et avec des mots aussi tranchés, marquant une rivalité exacerbée ?
Une rapide enquête montre que si certains estiment qu’il faut de cette façon « calmer » ces fonctionnaires « de passage » dans nos territoires, d’autres jugent la réponse du président Letchimy excessive et belliqueuse.
Certains se demandent si une déclaration aussi lapidaire du préfet méritait une réponse de deux pages.
L’art de la guerre nous enseigne l’opportunité d’opter pour des démarches stratégiques, inventives et pacifiques. Si seulement nous pouvions intégrer cela…
LE RPPRAC A VRAIMENT FRACASSÉ LE PAYS
C’est l’amère constatation de la situation actuelle: Nous ne sommes d’accord sur rien; Chacun joue la carte du plus susceptible, prêt à dégainer.
Aucun autre territoire d’Outre-mer n’a suivi la Martinique dans cette turbulence. Pourtant, la vie est parfois encore plus chère ailleurs. Alors pourquoi tant d’oppositions et de postures ?
Il a fallu des dizaines d’heures pour négocier un protocole d’accord soumis au Premier ministre, mais tous les députés martiniquais ont voté contre son projet de budget et pour sa destitution. Incompréhensible !
Une projection partagée est plus que jamais nécessaire. Elle demande sobriété, intelligence, créativité, humanité et paix intérieure.
LE RAPPORT SÉNATORIAL 2024
Une étude commandée par une délégation sénatoriale sur la vie chère en Outre-mer, réalisée par Christophe Girardier, met en évidence des causes structurelles nécessitant des réponses adaptées.
Quelques points soulevés par l’étude :
Un différentiel important existe entre les prix alimentaires, outre-mer et ceux de l’hexagone. :.
• Réunion : +37 %
• Martinique : +40 %
• Guadeloupe : +42 %
Le rapport invoque l’impact négatif des concentrations économiques, une inflation, plus forte en Outre-mer qu’en métropole.
Recommandations principales de ce rapport :
- S’affranchir des normes européennes pour des approvisionnements locaux.
- Promouvoir un développement économique endogène.
- Encadrer les marges arrière.
- Limiter la part de marché des grands acteurs (25 % max.).
- Interdire la verticalité des groupes (producteurs-distributeurs).
- Réduire la taille des grandes surfaces en Outre-mer (pas plus de 2 000 m²).
- Taxer les structures dépassant 2 000 m².
EN CONCLUSION
Trois instruments sont à notre disposition :
- Le rapport HAJJAR (malheureusement sous-utilisé),
- Le protocole d’engagement (avec ses imperfections),
- Le rapport sénatorial sus-cité de 2024
La suggestion que nous faisons est d’inviter une personne-ressource, tel que le sénateur Christophe Girardier en Martinique, et lui donner comme mission acceptée par tous de réunir les parties prenantes et de faire avancer la réflexion sur ces bases.
Autrement, nous risquons de rester des « bons Français », incapables de nous mettre d’accord, même en pleine crise.
Ch. Boutant, citoyen