« Nous sommes bouleversés par la percée de l’extrême-droite. “

Si je me dois de respecter les opinions, notamment celle de certains qui dans le silence de l’isoloir ont exprimé leur vote en faveur de l’extrême-droite française de manière aussi massive – 60% des votants- en dépit même d’un taux d’abstention phénoménal, je ne peux oublier que c’est quasiment à l’unanimité que les membres de l’association Tous Créoles m’ont placé, il y a deux ans à la tête de l’association.
Aussi suite à la déflagration démocratique que nous venons de subir, rappelons que
« Tous Créoles » a été fondée en 2007 en réunissant une soixantaine de personnes issues de toutes les composantes de la communauté antillaise : Noirs, Mulâtres, Indiens, Chinois, Békés, Syro-libanais, mais aussi des “Métropolitains” et des Africains ayant adopté depuis longtemps notre créolité comme démarche de vie et de pensée.
Par la mise en œuvre d’actions et de gestes symboliques, notre association a permis que celles et ceux qui composent cette communauté puissent apprendre à mieux se connaître et à se respecter dans leurs différentes singularités.
Nous avons permis aux communautés créoles, au-delà de l’histoire douloureuse de leurs origines, de se retrouver dans l’apaisement d’une personnalité partagée.
En 2007, pour la première fois dans la courte histoire de notre société post-esclavagiste, une association – c’est-à-dire un regroupement volontaire et organisé de femmes et d’hommes autour d’un projet idéologique commun – se constituait pour débattre à haute voix de sujets que l’on avait jusqu’ici soigneusement évité d’aborder depuis près de 160 ans ; en fait depuis que, dans notre pays, l’Esclave s’est libéré. Il s’agissait de débattre de ces frontières multiples, de ces relations complexes, de ces non-dits, de cette coexistence parfois rugueuse mais pourtant attachante, de cette affection amère, de cette chaleur teintée de ressentiment qui unit et désunit quotidiennement les Antillais, tant il est vrai que notre communauté créole est née dans l’inhumanité d’un crime qui la marquera pour longtemps.
Pour la première fois aussi, des hommes et des femmes de bonne volonté voulaient, de façon ordonnée et non plus seulement instinctive ou intuitive, délier des nœuds, décoincer des esprits, déplacer des lignes, désoxyder nos mœurs et nos cœurs, enfin œuvrer pour la fraternisation des différentes composantes de la société créole.
Parmi nos membres fondateurs on pouvait noter la présence de personnalités telles que feu le chirurgien Henri Lodéon, l’écrivain Tony Delsham, les chefs d’entreprise Marcel Osenat, et Nicole Malidor, l’universitaire Hector Élisabeth, le révérend-père Louis Élie, feu l’historien Édouard de Lépine, le poète Marcel Rapon, et j’en oublie la moitié.
Nous étions convaincus – et l’avons inscrit dans notre Charte- que la Créolité rompt avec une structuration identitaire figée, qu’elle est un processus constant, à partir duquel se fondent toute son originalité et la force de sa modernité. Que chercher à figer ou limiter notre personnalité créole serait une entreprise illusoire, tout autant que faire de notre pays un enclos, à l’heure où le monde devient un village trans et inter connecté. Ces femmes et ces hommes ouverts, de bonne volonté, épris de paix et soucieux de contribuer à la construction d’un monde créole apaisé, débarrassé du poids de son passé, non pour l’oublier, mais pour ne plus le subir.
Enfin, « Tous Créoles » dès sa création a entendu contribuer de façon vigilante et par tous les moyens à la défense des droits de l’Homme, à la lutte contre toute expression ou manifestation de racisme, de xénophobie ou de discrimination de tous ordres.
La lutte pour l’émancipation de notre communauté créole ne faisait pour nous que commencer.
Nous avons fait fi des commentaires et persiflages démoralisateurs sur le bien-fondé de notre action ou sur la présence dans nos rangs de certains membres de notre communauté désireux de franchir les lignes artificielles de démarcation tracées par les forces négatives engluées dans le passé.
Nous voulons pour preuve aujourd’hui de la validité de l’initiative de création de notre association la catastrophe, le coup de foudre politique qui nous a frappé ce 10 avril, Jour de l’an 2022 où un nombre substantiel de fils d’esclavagisés et de colons ont piétiné la mémoire de leurs auteurs en apportant par leur vote leur caution aux tenants de l’idéologie raciste et xénophobe de l’extrême-droite française.
Aussi nous prenons acte avec lucidité des implications de ce vote de nos compatriotes, quelques soient les circonstances pouvant amoindrir sa portée -une forte abstention – ou encore le rejet de la politique du candidat-président sortant.
Nous nous étions engagés en tant que co-président de Tous Créoles à faire montre de plus d’action et de résolution que facile indignation qui est signe d’impuissance.
Mais le temps de la tolérance zéro est venu. Plus une statue ne sera détruite, un monument aux morts détérioré, sans que nous ne réagissions fortement. Car ce qui pouvait passer pour de la tolérance à l’égard de l’intolérance et l’ignorance de certains devient laxisme.
Il devient vital de dénoncer les méfaits de l’idéologie raciste et xénophobe au sein même de notre communauté tout autant que venant d’ailleurs,
Je proposerai des actions positives à l’égard des communautés de la Caraïbe venues chercher refuge auprès de nous, nous irons à leur rencontre pour jeter les bases fraternelles du septième continent dont on parle tant…
Dorénavant, notre mission est évidente, rappeler à ceux qui ce 10 mai ont pu se laisser fourvoyer par des discours lénifiants “que notre communauté créole est née dans l’esclavage, l’inhumanité d’un crime qui la marquera pour longtemps…” que nous n’avons pas oublié ce passé, et continuerons à tout mettre en œuvre pour parvenir à une société apaisée.
Gérard Dorwling-Carter.
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