Dans le contexte de crise sociale que traverse la Martinique et d’autres territoires ultramarins, ce colloque animé par des spécialistes des questions économiques et sociales, arrive à point nommé pour engager une réflexion sur la dynamique collective à mettre en œuvre pour une nouvelle attractivité de l’Outre Mer et de la Martinique en particulier. Il était organisé par le Groupe L’Ouverture, les 30 et 31 janvier dernier, à l’hôtel de l’Assemblée à Fort-de-France.
Le Groupe L’Ouverture est un centre de réflexion, pour mieux faire connaître les Outre-mer et défendre leurs intérêts, basé à Nantes, il se compose d’une quarantaine de membres (des Ultramarins essentiellement), organise des rencontres, des conférences, publie des ouvrages. Il se positionne comme observateur des mutations des sociétés ultramarines.
Synthèses d’interventions :
Professeur Antoine Delblond, professeur émérite de droit public, ses travaux universitaires en font un grand spécialiste des problématiques juridiques de l’outre-mer. Il est Président du Groupe L’Ouverture qui a organisé ce colloque, son intervention « Miroir et séduction. Epopée ultramarine vers l’accessible attractivité » portait sur la nécessité de fédérer toutes les forces du territoire.
Qu’est-ce que l’attractivité d’une ville, d’un territoire ?
L’attractivité d’une ville ou d’un territoire repose sur plusieurs facteurs essentiels. Tout d’abord, l’urbanité d’une ville implique une concentration immobilière de qualité, offrant des logements adaptés. Ensuite, une ville doit posséder une attractivité commerciale, générant des emplois et des revenus fiscaux, essentiels dans un contexte de restrictions budgétaires.
Un territoire, quant à lui, se distingue par son implantation et ses caractéristiques environnementales, qui doivent être des atouts pour fixer les populations. Il est impératif d’y développer des infrastructures d’enseignement, de recherche et d’innovation. Une collectivité d’outre-mer comme la Martinique peut-elle réellement être attractive ? La question est complexe, surtout après les récents événements d’octobre. Toutefois, les collectivités locales ont la possibilité d’élaborer un projet d’attractivité en tenant compte des spécificités de l’outre-mer : atouts naturels, climat favorable et richesses culturelles. Pour réussir ce projet collectif, il faut aboutir à un projet politique, territorial, décentralisé. Mais le travail n’est pas facile ! Il faut construire en fédérant la société martiniquaise, il n’y a pas de projet possible sans une société fédérée dans toutes ses composantes autour de ce projet. Et donc, il faut que l’on s’affranchisse d’un certain nombre de pratiques qui consistent à considérer l’autre à travers ses origines sociales ou autre.
Cependant, certains freins existent, notamment des inégalités sociales et un retard de développement par rapport à l’hexagone. L’enjeu est donc de transformer cette quête d’attractivité en une véritable dynamique ultramarine. Il ne s’agit pas simplement d’actions de séduction, comme promouvoir des images idylliques lors de salons touristiques, mais d’un projet fédérateur impliquant toutes les composantes de la société. Cela nécessite un changement de mentalité, où chaque individu participe à la construction d’un territoire inclusif et attractif.
L’engagement des entreprises est crucial. Elles ne doivent pas être de simples demandeuses de subventions, mais des acteurs impliqués dans le développement économique. Une société forte et structurée est la clé de cette réussite. De plus, les collectivités doivent mobiliser leurs compétences pour mettre en place des politiques locales cohérentes, comme l’amélioration des transports et des infrastructures.
L’attractivité repose aussi sur la qualité de vie. Attirer les jeunes générations implique de répondre à leurs aspirations, notamment en matière de protection de l’environnement et de formation professionnelle. L’INSEE indique que seulement 55 % des 18-64 ans en Martinique ont suivi une formation l’an dernier, un chiffre inférieur à la moyenne nationale. Il est donc impératif de renforcer l’offre de formation pour attirer et retenir les talents.
Le logement est un autre enjeu central. Il est difficile d’attirer des travailleurs sans leur proposer des solutions d’habitat adéquates. En Martinique, le Sénat recense 33 120 demandeurs de logements sociaux pour seulement 7 992 attributions, alors que le taux de vacance locative est de 16 %, bien au-dessus de la moyenne nationale. Cette situation paradoxale doit être résolue par une meilleure articulation entre l’offre et la demande, impliquant l’État et les collectivités locales et en réglant les problèmes d’indivision.
L’inclusion sociale est également un facteur déterminant. Un projet de développement ne peut réussir si certains se sentent marginalisés tandis que d’autres se perçoivent comme des boucs émissaires. La construction d’un projet collectif repose sur la participation de tous, favorisant la mixité sociale et l’égalité des chances.
Enfin, une gouvernance efficace est essentielle. Il ne s’agit pas d’un projet politique partisan, mais d’un véritable laboratoire d’expérimentation et d’innovation. La recherche d’attractivité est un enjeu majeur qui mérite un engagement collectif. Ce n’est pas un temps perdu, mais une opportunité unique de réunir toutes les énergies pour faire de la Martinique un territoire dynamique, accueillant et propice au développement des entreprises, des familles et des investisseurs. Une épopée collective qui, loin d’être utopique, est parfaitement réalisable avec la volonté de chacun.
Ivan Odonnat, Président de l’IEDOM (Institut d’émission des Départements d’Outre-mer) et Directeur Général de l’IEOM (Institut d’émission d’Outre-mer). Son intervention portait sur la planification nécessaire pour « Renforcer l’attractivité économique des Outre-Mer »
Le concept d’attractivité reste peu analysé, bien qu’il soit souvent associé à la compétitivité. Une définition issue de la Commission européenne la décrit comme la capacité d’un territoire à améliorer durablement le niveau de vie de ses habitants tout en assurant une forte cohésion sociale et un emploi stable. Dans les faits, elle repose sur la capacité d’attirer et de retenir les activités économiques ainsi que les facteurs de production, le capital et le travail. La gouvernance et la qualité des institutions sont des éléments clés de cette dynamique.
Les territoires d’outre-mer, dont la Martinique, font face à des défis spécifiques en matière d’attractivité. L’une des pistes d’amélioration réside dans un meilleur approvisionnement en matières premières, privilégiant les circuits plus courts et les territoires voisins, notamment dans la Caraïbe. Cependant, l’absence d’accords commerciaux freine ces échanges. Bien que la Martinique ait intégré le Caricom, aucun cadre ne facilite réellement le commerce régional. Un accord commercial est une entente sur les droits de douane et la capacité à échanger les produits. Pourtant les territoires n’ont aucun accord commercial. C’est la première difficulté, la seconde est la question des normes souvent débattue. L’appartenance à l’Union Européenne, le statut de RUP a des conséquences, cela comporte des avantages mais il y a des inconvénients. Cela mérite le débat. Ce manque d’ouverture limite l’élargissement des marchés pour les entreprises locales, déjà confrontées à un marché restreint et à des coûts d’intrants élevés. L’exportation devient alors un défi majeur, impactant la compétitivité et le coût de la vie, ce qui complique l’attractivité de la région pour de nouveaux habitants. Venir vivre aux Antilles est compliqué. Comment concilier les salaires avec un coût de la vie plus élevé.
Par ailleurs, les infrastructures jouent un rôle crucial. Si la Martinique dispose d’un vivier de travailleurs qualifiés, elle peine à les retenir. À l’inverse, d’autres territoires comme la Nouvelle-Calédonie manquent de compétences locales. En Guyane et à Mayotte, la pression démographique accentue encore ces difficultés. La question est donc de savoir comment fidéliser les talents locaux tout en répondant aux besoins d’un marché du travail dynamique.
Les politiques publiques mises en place depuis 40 ans visent à compenser ces faiblesses, notamment à travers des dispositifs fiscaux et des aides à l’investissement. Toutefois, les résultats sont mitigés. Par exemple, malgré 800 millions d’euros alloués à la défiscalisation des investissements en outre-mer, les investissements privés ultramarins restent largement inférieurs à la moyenne nationale. Cela soulève la nécessité de revoir l’efficacité de ces dispositifs et de les réorienter pour qu’ils soient plus efficients.
Il y a la question du fonctionnement des marchés, les difficultés à l’emploi, la solution est la plus difficile à mettre en œuvre car cela oblige à réfléchir à des dispositifs existants qui sont d’une très grande sensibilité politique comme l’octroi de mer, la sur rémunération dans la fonction publique. L’idée n’est pas de supprimer ces dispositifs, il faut éviter d’être manichéen. Mais la difficulté des dispositifs est liée à l’empilage des mesures; cela coûte beaucoup d’argent mais plus personne n’y comprend rien. Donc, il y a un travail de fond à faire pour réfléchir, pour remettre tout à plat, en mettant toutes les parties autour de la table, les collectivités en premier lieu. Ce n’est pas une affaire de l’Etat, il faut que les territoires soient présents dans cette réflexion mais à mon sens ne pas l’entamer c’est faire perdurer des situations, des rigidités qui sont handicapantes.
Des actions concrètes sont envisageables à court terme. Premièrement, il est urgent d’améliorer les délais de paiement des collectivités afin de ne pas fragiliser davantage les entreprises locales. Ensuite, des investissements ciblés sur trois secteurs clés sont nécessaires :
- Modernisation des ports : pour optimiser l’approvisionnement, renforcer la concurrence et réduire les frais d’approche, ce qui influencerait positivement le coût de la vie.
- Transition énergétique : l’ultramarin dépend majoritairement des énergies fossiles importées. Développer les énergies renouvelables permettrait de réduire les coûts et d’assurer une autonomie énergétique.
- Autonomie alimentaire : la Martinique est le territoire ultramarin le moins autonome en matière de production alimentaire. Renforcer cette filière est un levier stratégique pour améliorer l’attractivité.
L’amélioration de l’attractivité passe par une remise en question des schémas établis et une volonté d’adaptation. Il y a tout un ensemble de mesures rapides à mettre en œuvre sans se voiler la face. Il y a une citation d’Einstein qui illustre bien tout ce qui est à faire « Le monde tel que nous l’avons créé est un processus de notre pensée, nous ne pouvons le changer qu’en changeant notre pensée » Ce changement est essentiel pour donner un nouvel élan au développement économique et social de la Martinique.
Synthèse des interventions par Nathalie Laulé
Qu’est-ce que l’IEDOM ?
« Un Rôle d’observatoire économique
L’Institut d’émission des départements d’outre-mer est chargé, comme la Banque de France en métropole, d’une mission d’observation de l’économie de sa zone d’intervention. Cette tâche a fondamentalement pour vocation d’éclairer les autorités monétaires sur la situation conjoncturelle de ces régions ultrapériphériques de l’Europe. Ces travaux d’analyse de l’IEDOM sont également exploités, sous forme agrégée, par l’ensemble des acteurs économiques et sociaux, entreprises, chambres consulaires et pouvoirs publics. Cette mission donne lieu à la production et la diffusion d’indicateurs économiques et de statistiques monétaires et financières ainsi qu’à la réalisation d’études économiques et d’enquêtes de conjoncture utilisées dans le cadre national et européen. » (IN/ www.iedom.fr)




