Par la Rédaction
-
Dans une lettre adressée au Premier ministre François Bayrou et au ministre des Outre-mer Manuel Valls, le président du Conseil exécutif de la Martinique fustige l’organisation du Comité interministériel des Outre-mer (CIOM), estimant qu’elle traduit une reprise en main autoritaire de l’État au détriment des collectivités locales.
Qu’est-ce que le CIOM ?
Institués en 2009, les Comités interministériels des Outre-mer (CIOM) sont des réunions gouvernementales de haut niveau, censées fixer la stratégie de l’État en matière de politique ultramarine. Présidés par le Premier ministre, ils réunissent les ministres concernés par les Outre-mer (économie, santé, logement, etc.) afin de coordonner les actions de l’État dans ces territoires spécifiques.
Leur objectif : afficher une volonté de pilotage interministériel, afin de dépasser les logiques sectorielles et de proposer des plans d’action intégrés répondant aux défis structurels des Outre-mer (chômage, vie chère, infrastructures, gouvernance, etc.). En pratique, ils servent aussi à présenter les engagements de l’État et à suivre leur mise en œuvre.
Mais en 2025, leur format évolue. Le CIOM du 10 juillet s’est tenu sans la participation directe des élus locaux, un choix vivement contesté dans les territoires.
Une méthode jugée « infantilisante » et « descendante »
Serge Letchimy dénonce un modèle de concertation unilatéral, où les préfets deviennent les interlocuteurs exclusifs du gouvernement, au détriment des élus démocratiquement mandatés. Il fustige une logique descendante, où Paris décide, et les Outre-mer appliquent.
Il écrit ainsi :
« Vous en faites une affaire réservée de l’État, reléguant les élus locaux au rang d’exécutants dévoués à votre bonne pensée […], en confiant aux grands commis de l’État, les préfets, l’ensemble des pouvoirs d’initiative, de conception et de mise en œuvre de ce que vous décidez pour nos pays, depuis Paris. »
Serge Letchimy y voit une atteinte à la dignité institutionnelle des territoires : un traitement « infantilisant », un mépris pour l’intelligence locale, et une négation du principe même de différenciation reconnu pourtant dans la Constitution française.
Une falsification de l’héritage de la départementalisation
Au-delà de la méthode, Serge Letchimy dénonce un reniement historique. Il rappelle que la départementalisation, voulue par des figures comme Gaston Monnerville, Léopold Bissol, Raymond Vergès ou Aimé Césaire, ne visait pas à soumettre les territoires d’Outre-mer à un contrôle permanent de l’État, mais à garantir l’égalité des droits tout en respectant leur capacité d’initiative et d’émancipation.
Selon lui, le CIOM trahit cette ambition, en ravivant les réflexes coloniaux de centralisation et en négligeant le potentiel d’autonomie de gestion des territoires. Il appelle donc à sortir d’un logiciel dépassé et à entamer une nouvelle relation fondée sur la reconnaissance et la confiance.
Une demande claire : ouvrir de véritables négociations
Letchimy au-delà de de la critique exige une refonte du dialogue État-collectivités, fondée sur les résolutions adoptées par le Congrès des élus de Martinique, qui posent les bases d’un projet d’émancipation institutionnelle, économique et culturelle. Il appelle à des négociations franches et structurées, qui prennent acte des blocages actuels et des aspirations légitimes des Martiniquais.
Serge Letchimy n’est pas seul à dénoncer la méthode du gouvernement.
En Guyane, le président de la Collectivité Territoriale, Gabriel Serville, s’est également indigné de l’absence d’invitation au CIOM. Il dénonce une mise à l’écart brutale du processus décisionnel et appelle à relancer le dialogue autour du processus d’évolution statutaire pour sortir de l’impasse institutionnelle.
En Guadeloupe, le président Ary Chalus est resté plus mesuré, mais a exprimé publiquement son incompréhension face à une telle marginalisation des élus, tout en appelant à la réouverture d’un cadre de concertation permanent entre État et collectivités.
À La Réunion, le président de Région Huguette Bello et celui du Département Cyrille Melchior ont, eux, adopté un ton plus conciliant, préférant exprimer leurs réserves en interne. Mais plusieurs parlementaires réunionnais ont fait savoir leur désaccord sur le format fermé du CIOM et appellent à une plus grande transparence sur les décisions prises à Paris.
Cette situation révèle une fracture croissante entre les territoires et le pouvoir central, où le besoin d’autonomie d’action se heurte à un réflexe technocratique de reprise en main. Tous les exécutifs ultramarins ne sont pas alignés sur une revendication d’autonomie institutionnelle, mais tous s’accordent pour rejeter l’unilatéralisme actuel.
Une crise de méthode qui reflète une crise de confiance
Le CIOM 2025, au lieu de rétablir la confiance entre l’État et les Outre-mer, a ravivé une méfiance ancienne, ancrée dans l’histoire de la centralisation jacobine. La critique de Serge Letchimy n’est pas simplement politique : elle est symptomatique d’un besoin de reconnaissance institutionnelle, culturelle et stratégique.
Sans réforme de la méthode et du cadre de dialogue, les CIOM risquent de devenir le symbole d’un échec renouvelé, là où ils étaient censés marquer un nouveau départ.