La proposition d’un retrait de Sainte-Lucie de la Communauté caribéenne (CARICOM), récemment formulée par le chef de l’opposition à Sainte-Lucie, Allen Chastanet, ravive les débats autour de l’utilité et de l’efficacité de l’organisation régionale. Pour l’universitaire Rahym R. Augustin-Joseph, ce type de suggestion relève d’un populisme dangereux et d’une vision à court terme.
Une frustration compréhensible, mais un remède trompeur
TOui, la CARICOM traverse des turbulences. Lenteurs dans la mise en œuvre des politiques, marginalisation des petits États de l’OECO (Organisation des États de la Caraïbe orientale), déséquilibres commerciaux persistants : les critiques ne manquent pas. Mais pour Augustin-Joseph, sauter directement à l’hypothèse du retrait relève d’un raccourci périlleux.
« Ce n’est pas en quittant le cadre régional qu’on efface magiquement les asymétries économiques ou qu’on obtient de meilleures conditions commerciales », argue-t-il. Au contraire, cela reviendrait à engager des négociations bilatérales coûteuses, risquées et peu réalistes pour des États fragiles économiquement.
Ce que la CARICOM permet déjà
Souvent critiquée, l’intégration régionale caribéenne offre pourtant des avantages concrets : libre circulation des personnes, droit d’établissement pour les entreprises, reconnaissance mutuelle de certaines qualifications professionnelles… La Cour de justice caribéenne (CCJ) a d’ailleurs consolidé ces droits dans plusieurs décisions majeures, notamment l’affaire Shanique Myrie contre la Barbade.
Dans un contexte de mondialisation incertaine et de repli des grandes puissances, ces acquis ne sont pas anodins. « Revenir à des régimes de visas, de permis de travail, de contrôles renforcés pénaliserait d’abord les citoyens ordinaires, pas les élites », rappelle l’auteur.
La tentation du repli, un danger géopolitique
La force de la CARICOM réside dans sa diplomatie collective. Que ce soit sur le climat, les réparations liées à l’esclavage, la situation haïtienne ou les relations avec Cuba et le Venezuela, la voix unie des Caraïbes a souvent pesé plus lourd que celle d’un État seul.
Sainte-Lucie, avec ses 180 000 habitants et son économie vulnérable, peut-elle réellement prétendre à un poids diplomatique équivalent en solo ? Rien n’est moins sûr. « Le retrait, dans un monde de blocs et d’instabilités, c’est l’isolement stratégique », tranche Augustin-Joseph.
Des déséquilibres internes à corriger, pas à fuir
Certes, tout n’est pas parfait dans la CARICOM. Les pays les plus développés (Trinidad, Barbade…) dominent les échanges, laissant les plus petits dans une position de dépendance. Mais selon l’auteur, ces déséquilibres sont d’abord structurels : industries peu compétitives, marchés étroits, faiblesse des capacités productives…
Plutôt qu’un retrait, il plaide pour le renforcement du Fonds de développement des Caraïbes (FDC), destiné à soutenir les économies les plus vulnérables et à réduire les effets de la libéralisation.
Réformer plutôt que rompre
Au-delà de l’économie, la CARICOM repose sur une architecture institutionnelle qui irrigue le quotidien des États membres : santé (CARPHA), sécurité civile (CDEMA), éducation (UWI, CXC), justice (CCJ), climat (CCCCC)… Qu’adviendrait-il de ces partenariats en cas de sortie ? Pour Augustin-Joseph, poser la question du retrait sans réponse claire à ce sujet revient à « jouer avec l’avenir ».
Le véritable enjeu ne serait donc pas de sortir de la CARICOM, mais d’en améliorer le fonctionnement, en renforçant la volonté politique, la coopération différenciée et l’intégration renforcée entre les États volontaires.
Quitter la CARICOM n’est pas une solution, c’est une fuite. Comme le souligne l’auteur : « On ne brûle pas la maison pour réparer une fuite au toit. » Si l’organisation caribéenne est imparfaite, elle reste un outil de solidarité, de projection diplomatique et d’espoir collectif. La réformer, plutôt que l’abandonner, est le véritable défi.
Rahym R. Augustin-Joseph, un Saint-Lucien de 24 ans, prépare une licence en droit à l’UWI Cave Hill, après avoir obtenu une mention très bien en sciences politiques et en droit. Actuellement boursier Rhodes du Commonwealth Caribbean et ancien major de promotion de l’UWI, il se consacre à l’utilisation du droit et de la politique pour transformer Sainte-Lucie et les Caraïbes.