Le Comité interministériel des Outre-mer (CIOM) du 10 juillet 2025 s’est tenu à Paris sans la présence des élus ultramarins. Pour la première fois, cette instance censée piloter les politiques publiques dans les territoires d’Outre-mer a été organisée entre ministres et hauts fonctionnaires. Un huis clos que le gouvernement justifie par l’urgence — reconstruire Mayotte, lutter contre la vie chère, garantir la sécurité. Mais cette méthode marque une rupture. Et cette rupture est inquiétante.
Car derrière l’efficacité invoquée se cache une mise à l’écart des représentants légitimes des territoires.
Une recentralisation assumée, qui confie aux préfets la mise en œuvre des mesures décidées, tout en reléguant les élus à un rôle d’exécutants silencieux. Ce choix révèle une gouvernance descendante, technocratique, où la concertation devient accessoire, et la démocratie locale, décorative.
Une décision dénoncée, un malaise profond
De nombreux responsables ultramarins ont réagi. Serge Letchimy, président du Conseil exécutif de la Martinique, dénonce une approche « infantilisante et centralisatrice ». Selon lui, ce CIOM illustre l’échec structurel des politiques publiques menées depuis 1946. Il appelle à un changement de paradigme : un véritable programme d’émancipation, conçu à partir des besoins exprimés par les territoires eux-mêmes.
Le malaise est réel, profond, et va bien au-delà d’un désaccord ponctuel. Il touche au cœur même du pacte républicain : celui d’une République décentralisée, fondée sur la concertation, l’écoute, et le respect de la parole locale.
Légitimité affaiblie, transparence absente
L’absence des élus au CIOM fragilise la légitimité démocratique des décisions prises. Qui parle au nom des territoires ? Qui rendra des comptes aux populations ? Comment justifier des choix imposés d’en haut, sans débat, sans arbitrage partagé ? En procédant ainsi, l’État prend le risque de voir les mesures adoptées être perçues comme des injonctions verticales, déconnectées des réalités du terrain, et donc inapplicables.
La transparence en souffre également. En évitant le débat public, en réduisant le processus à un échange interne entre administrations centrales, le gouvernement obscurcit les responsabilités et alimente la défiance. L’ingénierie préfectorale ne peut se substituer à la démocratie représentative.
Une crise institutionnelle révélée
Ce CIOM cristallise des tensions institutionnelles anciennes. Il consacre un renversement de logique : de la différenciation territoriale, promue ces dernières années, on glisse vers une uniformisation autoritaire. De la co-construction, on passe à l’imposition. Ce changement est d’autant plus problématique qu’il intervient dans un contexte de forte attente de reconnaissance et d’autonomie d’action des territoires ultramarins.
Le renforcement du rôle des préfets, au détriment des élus, modifie l’équilibre institutionnel. Il signe le retour d’une gouvernance coloniale par le haut, là où les Outre-mer réclament — et méritent — une gouvernance de projet, de confiance et de coresponsabilité.
Une nécessaire refondation
Face aux critiques, l’État promet un retour à la concertation pour les prochains CIOM. Mais la confiance, une fois rompue, ne se restaure pas en changeant simplement le format d’une réunion. Il faudra des garanties. Il faudra reconnaître que les élus ne sont pas des obstacles, mais des partenaires. Il faudra admettre que la démocratie territoriale n’est pas un luxe, mais une exigence.
Les Outre-mer ne demandent pas des traitements d’exception. Ils demandent à être considérés. À être associés aux décisions qui les concernent. À être entendus, enfin, dans ce qu’ils ont de singulier, de complexe, de particulier. Même s’ils apparaissent “insuffisants “ vus de Paris. Cela relève du fonctionnement démocratique de ce pays.
Gérard Dorwling-Carter