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En dehors du simple nombre, il n’est pas exagéré de dire que le style et le ton de la société étaient, et sont restés, principalement français… On buvait des vins français, on mangeait de la nourriture française, on portait des vêtements français. Lors des bals publics, les valses, menuets et danses de campagne françaises étaient à la mode.
À la fin des années 1820, un théâtre français prospérait à Port of Spain, mais dès 1838, la prospérité des colons français était anéantie. Selon le gouverneur Hill, écrivant en 1837 :
Près de neuf dixièmes des propriétés de l’île ont changé de mains au cours des douze dernières années. Les étrangers se sont progressivement retirés, laissant les domaines entre les mains des sujets britanniques.
Beaucoup de créoles français et de gens de couleur libres d’origine française étaient désormais démunis ou employés salariés des commerçants anglais et des propriétaires de plantations. Comme le dit Fraser dans son Histoire de la Trinité :
Combien de familles autrefois prospères et florissantes sont maintenant soit entièrement anéanties, soit traînent une existence misérable, dépendant dans de nombreux cas de la gentillesse d’anciens amis pour survivre, tandis que les domaines qu’elles possédaient autrefois sont passés aux mains d’étrangers.
La culture et la domination françaises s’effaçaient rapidement.
Elles devaient être sauvées par la solidarité créole française dans les affaires et la religion, ainsi que par l’essor du cacao.
Le fait que les Anglais au pouvoir différaient des « Français » résidents par la langue, la religion, les coutumes, ainsi que par les intérêts économiques et politiques, et qu’ils menaçaient leur ascendant et même leurs terres, tout cela les a soudés dans l’opposition – une opposition rendue d’autant plus tenace par une série d’incidents approuvés ou orchestrés par Charles William Warner, Anglais par excellence et procureur général de 1844 à 1869.
Les années 1870 et 1880 virent un grand épanouissement de la littérature créole française.
Des poèmes étaient publiés pour être chantés à la guitare ou au clavecin, l’« Histoire de La Trinidad sous Les Espagnols » de Borde parut, ainsi que « Les Oiseaux de la Trinidad » de Leotaud, les journaux français prospéraient, tout comme le théâtre français avec des artistes invités de la Martinique, les « Contes » de de Gannes étaient publiés dans les journaux et sous forme de brochures. Thomas publia son livre sur la « Grammaire créole ». L’Église catholique s’enracina plus profondément et plus largement, tout comme l’éducation catholique.
Pourtant, c’est le succès économique même de l’élément français qui détruisit l’héritage français.
Les créoles français furent nommés membres du Conseil législatif et comme gardiens. Leurs fils étaient envoyés à l’école en Angleterre, non en France. L’anglais à l’école primaire effaçait le « créole » (patois). Les ouvriers émigraient à Trinidad depuis les Antilles anglophones, rarement depuis la France. (Cependant, après l’éruption de la Montagne Pelée en 1902, une poignée d’immigrants arrivèrent, dont de Pompignon et de Meillac). Les prêtres dominicains français furent remplacés par des Irlandais. Vers 1900, il était clair que la tradition française à Trinidad était terminée. Tout ce qui subsisterait serait un héritage toujours plus réduit, un précieux souvenir du passé du pays.