Une chronique acceptée avec hésitation
Quand, à la suite de la tribune « Lettre à Mathilde PANOT », qu’aimablement ANTILLA avait choisi de publier, il m’a été proposé un espace pour y tenir une chronique régulière, dans un premier temps, j’ai beaucoup hésité à y donner suite, les expériences passées ne m’ayant pas laissé un souvenir impérissable. Secondairement mais plus fondamentalement, je n’ai guère le goût pour les actions individuelles, leur préférant, et de loin, l’action collective. Enfin, n’étant ni à la recherche d’un mandat électif ou d’une représentation quelconque, pas plus que de la notoriété qui s’y rattache, à 69 ans, il me paraissait plus utile de prendre quelque peu de distance, considérant que j’en avais suffisamment fait dans ma vie, avalant, au passage, pas mal de couleuvres.
Face aux contradictions, rester silencieux ?
En même temps, comme dirait Macron, devant l’ampleur des contradictions dans lesquelles s’enfonce la Martinique, peut-on rester les bras croisés, replié sur son quant-à-soi, en appliquant l’adage bien connu de chez nous : « Chak bètafé ka kléré pou namm yo » !
L’Octroi de mer au cœur de ” l’été “
Commençons donc et j’évoquerai la question de l’Octroi de mer. Pourquoi ? Parce que, la semaine dernière, subrepticement, en plein mois de juillet, entre le « Reggae Therapy » et le « Mercury beach », quand par conséquent les Martiniquais ont la tête ailleurs, les élus de la Collectivité de Martinique comme l’appelle son président, viennent d’accroître les taux d’un nombre significatif de produits ! Le supplément de recette est estimé à 28 millions d’euros.
Des précédents déjà connus
Ce n’est pas la première fois qu’une pareille opération est réalisée.
À la faveur des tables rondes contre la vie chère, la CTM avait pris plusieurs délibérations portant :
- La première sur la fixation à zéro du taux de l’octroi de mer destiné aux communes et à la CTM sur 54 familles de produits, avec une perte de recettes estimée à 6 millions d’euros,
- La seconde et la troisième portant sur l’augmentation de ces mêmes taux sur d’autres familles de produits, avec un supplément de recettes estimé à 15 millions d’euros.
Bilan de ce « welto » : 9 millions d’euros de plus dans les caisses des communes et de la CTM. Bravo les artistes !
Une ponction discrète mais massive
Ce qui fait qu’au terme des 7 premiers mois de l’année 2025, nos chers élus auront donc ponctionné la poche de tous ceux qui vivent dans notre pays à hauteur de 37 millions d’euros, soit un peu plus de 10,5 % du produit collecté en 2022.
En Martinique, la croissance de la collecte de l’Octroi de mer est de 4,15 % sur la période 2014 à 2022. La recette passe de 250 millions d’euros à 346 millions d’euros, soit 100 millions de mieux, 40 % d’augmentation en 8 ans. Et l’accélération se poursuit ! Quels sont les dotations, les bénéfices, les salaires, les revenus, les retraites, les pensions et les allocations qui augmentent à un tel rythme ?
Un jackpot par habitant
Mais le chiffre le plus parlant est la recette par habitant. En 2022, celle-ci était de 949 €, soit presque autant que la Guadeloupe qui culmine à 970 € et une fois et demie la recette par habitant perçue à la Réunion qui n’en est qu’à 640 €. Avec un tel jackpot chaque année, on comprend parfaitement que nos élus ne tiennent absolument pas à voir cet impôt disparaître !
Un impôt invisible pour le consommateur
Cependant, comme on dit chez nous, « la pli bel an ba la bay » et voyez plutôt :
- Quand vous achetez un bien quelconque, par exemple, des pneus, une facture vous est remise, laquelle mentionne le prix hors taxe ainsi que le taux de TVA et le montant correspondant,
- Quand vous faites des achats dans un hypermarché, il vous est remis un ticket de caisse mentionnant exactement les mêmes éléments.
- Quand vous payez vos impôts, qu’il s’agisse d’impôt sur le revenu, sur les bénéfices industriels et commerciaux, sur les sociétés, de taxe foncière, vous le faites à partir de l’avis d’imposition reçu ! Il en est de même des cotisations de sécurité sociale et des charges patronales.
Quand il s’agit d’octroi de mer, rien de tout cela n’existe et aucun document ne permet à celui qui paye de savoir quel est le taux et le montant d’octroi de mer qu’il supporte.
L’exception des factures d’eau et d’électricité
Rien de tout cela, ai-je dit ? Pas exactement. Les factures d’eau comme les factures d’électricité mentionnent le taux et le montant d’octroi de mer prélevé. Pourquoi n’en est-il pas même pour tous les achats ? Poser la question, n’est-ce pas y répondre ?
Des élus peu transparents
Nos élus désirent-ils que les Martiniquais puissent se rendre compte des sommes qu’ils exigent d’eux ? Ces derniers, ne s’en seraient-ils pas aperçu, en dépit de la présence de quantités de « spécialistes » du droit, de l’économie, de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes parmi eux ?
Mais, finalement, n’est-il pas confortable de disposer d’un outil fiscal que l’on peut manipuler à sa guise sans que, jamais, celui qui paye s’en aperçoive ? N’est-ce pas contraire à l’idée que l’on se fait de la démocratie ?
Le paradoxe du pouvoir fiscal
Comment de tels élus peuvent-ils prétendre à davantage de responsabilité ? Quand nos élus réclament un changement de statut, il est courant de les entendre évoquer la nécessité d’un pouvoir fiscal. Est-ce pour faire pire ?
Chiche ! pour la transparence
À ceux qui défendent mordicus cet instrument fiscal, s’ils sont si persuadés de la justesse de leur point de vue, alors que les taux et les montants de l’octroi de mer figurent dorénavant obligatoirement sur factures et tickets de caisse. Chiche !
Karl PAOLO 31 Juillet 2025
Nb: les intertitres sont de la Rédaction.