Un arsenal inédit contre les réseaux
Adoptée en juin 2025, la loi n° 2025-532, dite « loi choc anti-narcotrafic », marque une rupture dans la stratégie française face à l’essor du crime organisé. Inspirée du modèle italien antimafia, elle crée un Parquet national anti-criminalité organisée, doté de magistrats spécialisés et d’une compétence nationale. Elle étend les capacités d’enquête : gel rapide des avoirs, surveillance accrue des flux financiers, infiltration numérique des réseaux sociaux et plateformes de messagerie. Le statut des « repentis » est réformé afin de protéger les témoins clés, et un nouveau régime de saisie-confiscation vise à tarir les profits criminels.
Les outre-mer en première ligne
Le texte reconnaît explicitement que les Antilles et la Guyane constituent des maillons stratégiques des routes de la cocaïne. À la frontière terrestre avec le Suriname et au port de Fort-de-France, la loi prévoit des effectifs renforcés de douane judiciaire, un déploiement accru des moyens d’interception maritime et aérienne, ainsi qu’une coopération resserrée avec Europol et Interpol. « La France ne peut tolérer que ses outre-mer deviennent des hubs du narcotrafic », avait déclaré le ministre de l’Intérieur lors des débats.
Fort-de-France, une ville-test
Capitale de la Martinique, Fort-de-France illustre de manière saisissante les défis que la loi veut affronter. Avec un taux de pauvreté de 47 %, un chômage qui frappe 40 % des jeunes, et une démographie en recul constant, la ville subit une double peine : précarité sociale et montée de l’insécurité. Les commerçants dénoncent la vacance croissante du centre-ville, aggravée par les fermetures dues aux mouvements sociaux. Dans certains quartiers, les habitants parlent de « territoires abandonnés » où le trafic s’installe comme une économie parallèle.
Le pari répressif suffira-t-il ?
L’application stricte de la loi pourrait assécher les réseaux, réduire l’impunité et redonner une marge de manœuvre aux forces de l’ordre. Mais, préviennent plusieurs chercheurs, la répression ne suffira pas. « Fort-de-France ne pourra sortir du piège du narcotrafic sans un plan social et urbain d’ampleur », souligne l’économiste Jean-Marie Nol. L’expérience des politiques anti-mafia en Italie montre que l’efficacité repose sur un double levier : la fermeté judiciaire, mais aussi la reconstruction d’un tissu économique et communautaire.
Une équation politique et sociale
Le texte comporte donc un paradoxe : il donne à l’État des outils puissants pour frapper les réseaux, mais risque, s’il n’est pas accompagné d’investissements massifs, de déplacer les trafics sans s’attaquer aux causes structurelles. Pour la Martinique, la réussite dépendra de la capacité à articuler ce nouvel arsenal juridique avec des politiques de logement, d’éducation et de formation, ainsi qu’avec une revitalisation du commerce et de la vie urbaine de la capitale. Faute de quoi, la Martinique pourrait devenir un simple laboratoire répressif, sans réelle perspective de transformation durable.
Jean-Paul BLOIS.