C’est un fiasco diplomatique aux conséquences dramatiques. Pendant dix jours, les 184 pays réunis à Genève ont tenté de rédiger un traité international contre la pollution plastique. Sans succès : les négociations se sont soldées par un échec, en raison de l’obstruction acharnée des pays pétroliers et de l’influence des lobbyistes de l’industrie pétrochimique.
La dernière mouture du texte était « tout bonnement inacceptable », explique à Reporterre Lisa Pastor, de l’association de protection des océans Surfrider, présente à Genève. « Il s’agissait réellement du plus grand recul observé depuis trois ans. La plus faible des versions de texte proposées, niant complètement la science », décrit-elle. « De très nombreux pays, mais aussi la société civile, s’y sont donc fermement opposés. »
Un processus initié en 2022
Ces négociations constituaient la dernière étape d’un processus lancé en mars 2022 par l’Assemblée des Nations unies pour l’environnement, qui avait adopté à l’unanimité une résolution qualifiée d’« historique ». L’ambition initiale était claire : parvenir d’ici fin 2024 à un traité mondial, juridiquement contraignant, couvrant l’ensemble du cycle de vie des plastiques – de la production à la gestion des déchets, en passant par la réduction des substances toxiques.
Après Montevideo, Paris, Nairobi, Ottawa et Busan, la session de Genève devait être décisive. Mais elle a montré à quel point les divergences persistent.
Des blocs irréconciliables
Deux camps se sont affrontés.
- La coalition de « haute ambition », emmenée par l’Union européenne, le Canada, le Japon et plusieurs États insulaires particulièrement vulnérables, plaidait pour un accord limitant la production mondiale de plastiques vierges, fixant des objectifs chiffrés et encadrant les substances chimiques dangereuses.
- Le front du refus, mené par les États du Golfe, la Russie, l’Iran et soutenu en coulisse par les États-Unis, a rejeté toute idée de plafonnement ou de régulation contraignante. Ces pays défendent leurs intérêts pétrochimiques, alors que 99 % du plastique est issu des hydrocarbures.
Une victoire des lobbys industriels
Plusieurs observateurs ont dénoncé l’influence directe des géants du plastique et du pétrole. Des dizaines de représentants de l’industrie pétrochimique étaient accrédités aux négociations, parfois plus nombreux que les délégués officiels de certains petits États. Leur discours, insistent les ONG, a pesé lourd : privilégier le recyclage et la « responsabilisation des consommateurs », au détriment d’une réduction de la production.
Quelles conséquences ?
L’échec de Genève reporte aux calendes grecques l’adoption d’un instrument contraignant. Or, selon l’OCDE, la production mondiale de plastique pourrait tripler d’ici 2060, dont près de la moitié finirait en décharge ou dans l’environnement. Déjà, 11 millions de tonnes de plastique rejoignent chaque année les océans.
Pour les États insulaires et côtiers, la déception est immense. « Nous subissons de plein fouet les impacts de cette pollution, sur la pêche, le tourisme, la santé publique », a rappelé la représentante des Fidji. Sans traité global, la multiplication d’accords régionaux et d’initiatives volontaires ne suffira pas à inverser la tendance.
Un rendez-vous manqué
Les diplomates espéraient faire du traité sur les plastiques l’équivalent de l’Accord de Paris pour le climat. Genève marque au contraire un coup d’arrêt inquiétant. « C’est un rendez-vous manqué avec l’histoire », déplore un négociateur européen. Pour les ONG, il s’agit d’une alerte rouge : sans pression accrue de l’opinion publique et des gouvernements favorables à une régulation stricte, le lobby pétrochimique pourrait bien avoir gagné la bataille décisive.