Un vide juridique enfin comblé
Le décret n° 2025-805 du 12 août 2025 marque une étape majeure pour la gestion des zones littorales dites des cinquante pas géométriques. Cette bande de 81,20 mètres, anciennement propriété de la Couronne puis de l’État, borde les rivages en Martinique, Guadeloupe, Guyane et Réunion (article L. 5111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques). Dans les Antilles, elle est largement urbanisée de manière informelle depuis les années 1950-1970. Nombre de quartiers populaires y sont implantés « sans droit ni titre », exposés aux risques de submersion, de cyclone, de glissements de terrain ou de séismes. Jusqu’ici, seuls les Établissements publics fonciers (EPF) pouvaient mobiliser le fonds Barnier (Fonds de prévention des risques naturels majeurs – FPRNM) pour financer acquisitions, expropriations et relogements. Les Agences des cinquante pas (A50pas), créées localement en Guadeloupe et en Martinique, en étaient exclues.
Les apports du décret
Le texte du 12 août vient corriger cette asymétrie. Les agences disposent désormais de la capacité de conduire des acquisitions amiables ou des expropriations dans les zones classées à risque, financées par le fonds Barnier. La démolition, la remise en état des terrains, la libération foncière et le relogement des habitants peuvent être couverts. Les études préalables, cartographies, diagnostics et actions de prévention deviennent finançables. Les A50pas s’alignent ainsi sur les prérogatives des EPF et se transforment en acteurs à part entière de la politique de prévention, bien au-delà de leur ancien rôle de simples gestionnaires de transferts fonciers.
Martinique : un outil de résilience renforcé
À Fort-de-France et dans ses environs, notamment à Dillon, Volga-Plage, Baie des Flamands, Schoelcher, Rivière-Salée et Lamentin, des milliers de familles vivent dans des zones rouges PPRn. Jusqu’ici, les projets de relogement échouaient faute de financements crédibles. Le décret ouvre la voie à un apaisement social relatif. Les associations dénonçaient le caractère injuste des démolitions sans solution. La garantie d’un financement et la perspective de relogements indemnisés crédibilisent désormais l’action publique. La Collectivité territoriale de Martinique (CTM) pourra s’appuyer sur l’agence locale pour piloter une véritable politique de résilience littorale. Mais les élus municipaux devront encore arbitrer entre la protection des vies humaines et le maintien de communautés littorales populaires, ce qui risque d’alimenter des tensions politiques.
Guadeloupe : entre opportunité et risque politique
En Guadeloupe, l’habitat précaire en zone littorale est encore plus étendu, notamment à Pointe-à-Pitre, Les Abymes et Baie-Mahault. Le financement des démolitions et relogements pourrait débloquer des projets de recomposition urbaine longtemps différés. Mais la crainte d’un « nettoyage social » reste vive. Les tensions historiques entre habitants et autorités risquent de ressurgir. La coopération entre Région, Département et A50pas sera décisive, dans un contexte institutionnel plus fragmenté qu’en Martinique. L’agence guadeloupéenne pourrait néanmoins devenir un acteur central dans la recomposition urbaine d’espaces à fort potentiel économique, à condition que l’accompagnement social soit au rendez-vous.
Une réforme aux enjeux climatiques et sociaux
Ce décret illustre l’évolution des agences des cinquante pas, qui passent d’un rôle foncier à une mission de protection civile et climatique. Dans un contexte de montée des eaux et de cyclones plus violents, il dote les territoires antillais d’un outil juridique et financier central. En Martinique, la mesure devrait renforcer la crédibilité de l’action publique et la capacité de la CTM. En Guadeloupe, elle représente une opportunité mais aussi une bombe politique à retardement si les expropriations sont perçues comme brutales ou discriminatoires.
Conclusion prospective
La réussite de cette réforme dépendra de la capacité des autorités locales à associer les habitants aux projets et à éviter la stigmatisation des quartiers populaires. Ce décret pourrait ainsi constituer un tournant vers une politique intégrée de résilience littorale, mais il porte en lui le risque d’une contestation sociale forte.
Jean-Paul Blois



