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Des écarts abyssaux
La carte salariale de la Caraïbe illustre une fracture profonde. Alors qu’en Martinique, le salaire minimum brut horaire s’élève à 11,88 €, les pays voisins affichent des niveaux bien plus bas : à peine 2,2 euros de l’heure en Jamaïque, entre 2,1 et 2,5 euros en Dominique, Sainte-Lucie applique un salaire minimum national fixé à 6,52 dollars des Caraïbes orientales (XCD) de l’heure, soit environ 1 131 XCD par mois, ou encore 1,3 à 2,5 euros en Grenade. À l’opposé, des territoires plus insérés dans les réseaux économiques internationaux, tels que Sint Maarten (≈ 5,1 €) ou Anguilla (≈ 5,4 €), affichent des minima plus proches des standards occidentaux, mais toujours très éloignés du seuil hexagonal.
Une mosaïque de niveaux de vie
Le tableau des salaires minimums révèle une mosaïque d’économies à deux vitesses. Dans les îles de l’OECO (Organisation des États de la Caraïbe orientale), les minima se situent généralement entre 2 € et 4 €/h : Antigua-et-Barbuda (2,9 €), Saint-Kitts-et-Nevis (4 €), ou encore Sainte-Lucie, où le salaire minimum reste défini par secteur et demeure inférieur aux standards régionaux. À l’inverse, les Bahamas (4,7 €), la Barbade (3,8 €) ou Saint-Martin côté néerlandais (5,1 €) bénéficient de planchers plus élevés, reflet d’économies davantage tournées vers le tourisme de luxe et les services financiers.
Des migrations de survie
Ces écarts structurent les flux migratoires. Pour un travailleur dominicais, gagner 200 ou 300 euros de plus en Martinique représente un différentiel colossal : un mois de salaire dans son pays équivaut à une semaine de SMIC en territoire français. Ce déséquilibre nourrit une migration de survie : saisonniers agricoles, employés du BTP, aides domestiques affluent vers la Martinique, acceptant parfois des emplois précaires mais toujours mieux rémunérés que dans leur pays d’origine. Les transferts financiers réalisés vers les familles restées au pays deviennent alors une véritable rente sociale régionale.
Une attractivité qui crée des tensions
L’attractivité salariale martiniquaise n’est pas sans conséquence. Elle provoque une fuite de main-d’œuvre qualifiée dans les pays sources, accentuant la fragilité de leurs systèmes économiques ou de leurs filières agricoles. Elle alimente aussi, en Martinique, un sentiment de concurrence sur le marché du travail, dans un contexte où le chômage local reste élevé. L’écart salarial, loin de n’être qu’une donnée économique, devient ainsi un facteur de tensions.
Une question stratégique pour la Martinique
À l’approche du Congrès des élus de Martinique, prévu à l’automne 2025, cette fracture salariale est un enjeu stratégique. L’île ne peut penser son avenir institutionnel uniquement dans son rapport à Paris : sa position dans la Caraïbe, marquée par des écarts de salaires qui conditionnent migrations, dépendances et vulnérabilités, doit être intégrée à la réflexion. La Martinique est à la fois protégée par l’Europe et enclavée dans un environnement social fragile. Cette double appartenance impose d’inventer une politique régionale équilibrée, qui transforme l’écart salarial en levier de coopération plutôt qu’en facteur de fracture.
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