Depuis 2015, la Collectivité territoriale de Martinique (CTM) a pris l’habitude de se substituer à l’État dans des domaines qui ne relèvent pas de ses attributions. Ce débordement, né des urgences locales mais aussi d’un choix politique assumé, pose désormais la question de sa soutenabilité budgétaire et de son avenir institutionnel.
Créée de la fusion du département et de la région, la CTM n’a cessé d’élargir son champ d’action.
Pénuries d’eau, hôpitaux en crise, tensions sociales : face aux urgences, elle s’est souvent imposée comme l’ultime recours, finançant des projets éducatifs, soutenant les communes ou renforçant les services de santé. Cette pratique traduit aussi un constat : l’État peine à intégrer les spécificités martiniquaises. En comblant ces manques, la collectivité s’efforce de garantir la continuité du service public.
Mais ce choix a aussi une dimension politique.
En assumant des charges supplémentaires, la CTM veut démontrer sa capacité à gérer des compétences élargies, à l’image des collectivités régies par l’article 74 de la Constitution. Elle se présente ainsi comme l’institution de proximité capable d’agir, renforçant sa légitimité auprès des habitants et préparant une éventuelle évolution statutaire. Faute de moyens financiers adaptés, cette autonomie de fait fragilise pourtant un budget de fonctionnement déjà grevé de plus d’un milliard d’euros.
Trois trajectoires sont aujourd’hui envisagées :
Maintenir le statu quo, au risque d’un budget toujours plus contraint ; obtenir une évolution encadrée, avec des habilitations accrues dans le cadre de l’article 73 et des dotations spécifiques ; ou franchir le pas d’un basculement à l’article 74, qui donnerait un pouvoir normatif et des ressources fiscales propres mais impliquerait une rupture institutionnelle que la population n’appelle pas majoritairement de ses vœux. L’avenir de la CTM dépendra autant de la volonté des élus locaux que de la capacité de l’État à reconnaître la singularité martiniquaise.
Lecornu à Matignon : quels effets sur le Congrès des élus de Martinique ?
La nomination de Sébastien Lecornu comme Premier ministre intervient à quelques semaines du Congrès des élus de Martinique, prévu en septembre et en octobre 2025. Ancien ministre des Outre-mer, il connaît bien les débats institutionnels de l’île et le rôle élargi déjà assumé par la CTM. Cette familiarité constitue un atout. Mais son mandat s’annonce fragile : il doit avant tout faire adopter le budget 2026 dans un Parlement fragmenté, sous la menace constante d’une censure. Dans ce contexte, les dossiers ultramarins pourraient être relégués au second plan.
Si son gouvernement se stabilise, Lecornu pourrait renouer avec la méthode privilégiée rue Oudinot :
le dialogue et les compromis pragmatiques. La voie serait alors ouverte à des habilitations spécifiques sous l’article 73, assorties de moyens ciblés, en attendant un débat plus large sur l’évolution institutionnelle. En revanche, si son cabinet tombait rapidement, le Congrès se tiendrait dans une atmosphère d’incertitude, sans perspective claire de soutien de l’État.
L’arrivée de Lecornu à Matignon place ainsi le Congrès face à une équation délicate : la possibilité d’un interlocuteur attentif et pragmatique, mais aussi la dépendance persistante du processus martiniquais aux aléas de la politique nationale.
Gérard Dorwling-Carter