Alors que la France hexagonale s’enfonce dans une crise politique et budgétaire, la société antillaise se trouve, elle aussi, confrontée à des bouleversements profonds. Entre vulnérabilités économiques, pressions climatiques, mutations numériques et interrogations institutionnelles, la Guadeloupe et la Martinique voient se dessiner un avenir incertain. La prospective n’est plus un luxe intellectuel, mais une nécessité vitale.
Un avenir déjà inscrit dans les mutations de l’Hexagone
Instabilité politique, montée du RN, finances publiques dégradées : les Guadeloupéens observent avec inquiétude la situation délétère en métropole. Les choix budgétaires de Sébastien Lecornu, qui a renoncé à la trajectoire d’économies de 44 milliards d’euros, traduisent une difficulté persistante de l’État à maîtriser ses déficits. Derrière ces tensions, c’est bien l’avenir des territoires ultramarins qui se joue, tant leurs trajectoires restent dépendantes de l’évolution de l’Hexagone.
La prospective : une nécessité vitale pour les sociétés antillaises
Réfléchir à l’avenir devient indispensable pour anticiper les chocs à venir. La prospective éclaire les choix collectifs à long terme et permet de dépasser la gestion au jour le jour. Elle offre aux Antilles un outil stratégique pour identifier les menaces, mesurer les opportunités et imaginer des scénarios de transition adaptés.
Vulnérabilités économiques et défis climatiques
L’insularité et la dépendance aux transferts publics rendent la Guadeloupe et la Martinique particulièrement vulnérables. Le dérèglement climatique accentue ces fragilités : cyclones plus intenses, montée des eaux, érosion du littoral, raréfaction de l’eau douce. Déjà affaiblie par la concurrence internationale et la pollution au chlordécone, l’agriculture doit inventer de nouvelles pratiques durables. Sans une vision prospective, la souveraineté alimentaire risque de devenir une chimère.
Révolution numérique et menaces sur l’emploi
La transition numérique est à la fois promesse et menace. L’intelligence artificielle, la robotique et l’impression 3D bouleversent des économies déjà fragiles. Une étude du cabinet Roland Berger estime que l’IA générative pourrait supprimer plus d’un tiers des emplois publics dans le monde. Sans accompagnement, les Antilles verront s’aggraver le chômage des jeunes, la précarité et l’exode des talents. À l’inverse, une stratégie proactive pourrait transformer cette révolution en levier d’innovation et d’entrepreneuriat culturel.
Fractures sociales et crise silencieuse
La société antillaise traverse aussi une crise intérieure. Narco-trafic, violences, consommation accrue de drogues et décrochage scolaire fragilisent le lien social. La perte de sens de l’école nourrit le sentiment d’exclusion, avec pour corollaire la montée de la délinquance. Penser l’avenir impose de s’appuyer sur les atouts propres aux territoires : créativité, solidarité et résilience.
Identité, institutions et question du statut
Les débats sur l’évolution statutaire témoignent d’une quête politique et identitaire. Faut-il maintenir le cadre actuel de la départementalisation, gage de solidarité nationale, ou inventer de nouvelles formes d’autogouvernance ? En Martinique, le congrès des élus explore une refonte de l’article 73 pour instaurer un véritable pouvoir normatif. En Guadeloupe, l’hypothèse d’un passage à l’article 74 paraît risquée, tant la soutenabilité financière reste fragile.
Les limites et les risques des scénarios institutionnels
Les scénarios institutionnels doivent être analysés avec rigueur : recettes fiscales peu dynamiques, baisse attendue des dotations de l’État, recul de l’investissement privé menacent la viabilité de certains choix. La prospective permet ici de mesurer avantages et risques, et d’éclairer des décisions qui engageront durablement l’avenir des sociétés antillaises.
Vers un basculement civilisationnel
Au-delà des ajustements institutionnels, c’est un basculement de civilisation qui s’opère. La transformation actuelle, accélérée par la mondialisation et la révolution numérique, rompt avec la simple continuité du passé colonial. L’équilibre entre tradition, modernité et affirmation identitaire devient crucial pour inventer un nouveau modèle de société.
La prospective comme boussole de la transition
Dans un monde incertain, la prospective agit comme une boussole. Elle ne prédit pas l’avenir mais aide à le préparer. Anticiper les transitions permet d’éviter les ruptures brutales et d’ouvrir la voie à des choix démocratiques et partagés. Comme le rappelait Boris Cyrulnik :
« Tout rêve d’avenir métamorphose la manière dont on éprouve le présent. » Aux Antilles, l’avenir ne se rêve plus : il s’anticipe, il se construit.