Avec un produit intérieur brut estimé à 9,5 milliards d’euros, la Martinique se place dans la moyenne nationale avec environ 26 000 euros de PIB par habitant. Mais ce chiffre flatteur dissimule une réalité autrement plus brutale : plus de la moitié de cette richesse provient de transferts publics, qu’il s’agisse des salaires de fonctionnaires, des retraites, des prestations sociales ou des subventions et allocations diverses. Autrement dit, la prospérité apparente de l’île repose sur une illusion économique: la perfusion constante de l’État et de l’Union européenne.
L’économie locale vit sur un modèle de consommation importée.
Plus de 80 % de ce que nous consommons vient d’ailleurs. Nous avons transformé notre île en marché captif, dominé par le secteur tertiaire et un commerce dépendant des caisses publiques. Résultat : peu d’emplois productifs, un chômage structurel qui stagne entre 15 et 17 %, et une jeunesse diplômée condamnée à l’émigration pour espérer une carrière à la hauteur de ses ambitions.
Le tourisme, que l’on nous présente comme la grande alternative, ne pèse guère plus de 7 à 8 % du PIB en direct, et au mieux 12 à 14 % en incluant les effets indirects.
En clair : moins de 1,5 milliard d’euros pour une île entière, avec des retombées captées par les compagnies de croisières, les grands groupes hôteliers et une poignée de propriétaires de locations saisonnières. On est bien loin pour l’instant du moteur économique capable de transformer notre société.
Quant à l’agriculture, elle n’est plus qu’un vestige de ce qu’elle fut.
Elle représente à peine 3 % du PIB. Elle nourrit partiellement la population. La banane, survitaminée aux aides européennes, pèse 1,5 % de la richesse produite. Le rhum, produit identitaire et vitrine mondiale, génère 90 à 100 millions d’euros, soit environ 1 % du PIB. Ces deux filières survivent davantage par la subvention et le marketing que par leur compétitivité réelle. Tout le reste n’est que productions marginales, souvent plus symboliques qu’économiquement décisives.
L’économie martiniquaise est donc fragile, peu diversifiée, et exposée aux chocs exogènes : crises sanitaires, flambées des prix mondiaux, réduction des transferts publics.
Cette dépendance est une vulnérabilité structurelle que nous refusons collectivement de regarder en face. Depuis des décennies, nous répétons la même litanie sur la « nécessaire autonomie économique », mais nous restons incapables de bâtir ensemble une stratégie crédible pour créer de la valeur ajoutée localement.
Le constat est accablant : la Martinique vit au-dessus de ses moyens réels, sous perfusion permanente.
Et ce ne sont pas seulement « Paris » ou « Bruxelles » qui sont responsables. C’est notre incapacité, celle de nos élus, de nos entrepreneurs et même de nos producteurs, à inventer un autre modèle.
Nous nous sommes accommodés d’un système d’assistanat global, commode à court terme, mais indigne à long terme.
Le défi n’a jamais été aussi pressant : construire une économie plus autonome, résiliente et créatrice d’emplois. Tant que nous préférerons importer plutôt que produire, consommer plutôt que transformer, quémander plutôt que créer, nous condamnerons notre jeunesse à fuir et notre société à végéter.
La vérité est dure, mais elle doit être dite : si nous ne sortons pas de cette dépendance, nous resterons éternellement prisonniers d’un modèle qui nous infantilise.
Et peut-être faudrait-il commencer par faire preuve d’un peu de modestie, avant de crier à l’injustice hexagonale : car l’échec est d’abord le nôtre, tous ensemble.
Gérard Dorwling-Carter