Publié par Killian Ravon
Futura sciences.
Depuis quelques années, des images venues de l’espace dévoilent une traînée brune qui traverse l’Atlantique. Vue du ciel, elle ressemble à une cicatrice, un long trait hésitant qui part des côtes de l’Afrique de l’Ouest. Et court jusqu’aux Caraïbes puis au golfe du Mexique. Cette masse n’est pas une pollution pétrolière, ni une illusion d’optique. Ce sont des sargasses, des algues brunes flottantes, à la dérive. Leur présence n’était autrefois qu’une curiosité. Aujourd’hui, elle s’étend comme un ruban presque continental.
Sur les plages, l’image est moins spectaculaire que depuis l’orbite, mais l’effet se fait sentir. Les nappes poussent la mer en arrière, forment des barrières visqueuses, puis s’accumulent en andains. Elles arrivent parfois en une nuit, sans prévenir, et transforment littoraux et baies en chantiers d’urgence. Et si les habitants de certaines îles des Antilles, de la Floride ou du Mexique en savent quelque chose. C’est parce que le phénomène gagne en fréquence et en intensité.
Des nutriments qui ne viennent plus seulement de l’océan
Longtemps, on a pensé que la croissance des sargasses restait limitée au large, dans un océan globalement pauvre en nutriments. Sauf que tout change quand les eaux se chargent d’azote et de phosphore. Des expériences menées depuis les années 1980 ont montré que, dans une eau enrichie, la biomasse de sargasses peut doubler en onze jours. Plus la zone est proche des côtes, plus la croissance s’accélère. Les analyses de tissus racontent la même histoire : entre 1980 et 2020, la teneur en azote des sargasses a augmenté d’environ 55 %, et leur rapport azote/phosphore a grimpé de 50 %. Ces chiffres, à eux seuls, disent le basculement en cours.
D’où vient cette nourriture supplémentaire pour les algues ? En partie encore de l’océan lui-même, via les remontées d’eaux profondes et le mélange vertical. Mais de plus en plus, elle arrive de la terre. Les ruissellements agricoles, les rejets d’eaux usées, ou les dépôts atmosphériques apportent un cocktail d’éléments nutritifs qui fertilise des milliers de kilomètres carrés. Le fleuve Amazone joue un rôle central : lors des crues, il charge l’Atlantique de nutriments qui boostent les proliférations; lors des sécheresses, on observe au contraire un net ralentissement. Cette pulsation continent-océan est devenue l’un des grands métronomes du phénomène.
Des courants qui transforment l’essai