Lors d’une émission sur ZITATA. TV que j’animais , Eddie Marajo pointait avec son acuité habituelle ce qui freine, selon lui, la Collectivité Territoriale de Martinique (CTM) : le niveau insuffisant de compétence de ses élus. La formule peut choquer, mais elle soulève une vérité que beaucoup taisent : sans savoir, sans rigueur, sans vision, la CTM est condamnée à l’impuissance.
Un mandat qui engage plus qu’une commune
Être élu à la CTM, ce n’est pas gérer un canton ni distribuer des subventions. Depuis 2015, ce mandat exige bien davantage. Il faut arbitrer un budget colossal de plus d’1,4 milliard d’euros, dialoguer avec Paris et Bruxelles, répondre aux urgences sociales qui minent notre quotidien, tout en dessinant une trajectoire d’avenir pour la Martinique. Qui peut sérieusement penser que cela s’improvise ?
Maîtriser les règles, parler d’égal à égal
Les élus doivent connaître les textes qui fondent leurs responsabilités : le Code général des collectivités territoriales, les lois organiques, les règlements européens. Ils doivent comprendre ce que signifie être une région ultrapériphérique et savoir défendre des adaptations législatives. Sans cette maîtrise, impossible de négocier d’égal à égal avec l’État ou l’Europe. Faute de quoi, la CTM se présente à la table des discussions en position de faiblesse.
Le poids du budget, la faiblesse des marges
Un tiers des ressources est englouti par les aides sociales (RSA, APA, PCH). Les marges sont infimes. Pourtant, il faut financer routes, lycées, transports, patrimoine UNESCO. Il faut capter les fonds européens, sécuriser les contrats de convergence avec l’État. Cela exige une compétence financière que tout élu devrait acquérir. Trop souvent, le débat budgétaire se réduit à des postures alors qu’il devrait être l’exercice de vérité par excellence.
Voir plus loin que demain
Gérer ne suffit pas. Il faut bâtir. Autonomie alimentaire, transition énergétique, industries culturelles, tourisme durable : voilà les vrais dossiers. Tous les membres , de l’Assemblée portent-ils une vision claire de l’avenir ? La Martinique vieillit, ses jeunes partent, le monde se transforme. L’élu territorial doit être stratège, pas simple comptable. Et il doit inscrire la Martinique dans sa géographie naturelle : la Caraïbe. Sainte-Lucie, Dominique, CARICOM, OECS : c’est là que se joue aussi notre avenir. Nos élus maîtrisent suffisamment l’anglais, la langue espagnole pour communiquer utilement avec nos voisins?
Probité et courage politique
La confiance s’érode. Les citoyens veulent des élus intègres, capables d’écouter, de dire la vérité, de prendre leurs responsabilités. Ils n’attendent pas des promesses mais des décisions, même impopulaires, sur l’eau, le chlordécone, la santé, les transports. L’éthique n’est pas un supplément d’âme, c’est la condition de la légitimité politique.
Quatre rôles, une responsabilité
Un élu de la CTM doit être à la fois gestionnaire, visionnaire, médiateur et garant éthique. Sans cette quadruple compétence, le mandat est trahi.
La Martinique traverse un moment décisif. L’heure n’est plus aux improvisations ni aux illusions. Les élus doivent hausser leur niveau, se former, s’entourer d’experts, travailler sérieusement. Faute de quoi, la CTM ne sera qu’une coquille vide, incapable de porter l’ambition d’un peuple qui veut enfin maîtriser son destin.
Gérard Dorwling-Carter