Le débat sur l’avenir institutionnel de la Martinique revient régulièrement sur la scène politique et citoyenne. À chaque fois, il s’accompagne d’espoirs, de peurs, et chaque fois de malentendus.Mais une vérité s’impose : aucune solution institutionnelle n’est parfaite.Chaque statut offre des leviers, mais impose aussi des contraintes. La question n’est donc pas de savoir quel modèle serait “idéal”, mais lequel correspond le mieux aux besoins, aux capacités et aux ambitions de la Martinique d’aujourd’hui.
L’identité législative : la continuité dans la dépendance maîtrisée
La Martinique vit aujourd’hui sous le régime de l’article 73 de la Constitution, dit du principe d’identité législative.
Cela signifie que les lois et règlements de la République s’y appliquent de plein droit, sauf adaptations nécessaires liées aux caractéristiques locales.
Les avantages : Une égalité juridique totale avec la France hexagonale : mêmes droits, mêmes garanties sociales, mêmes protections judiciaires et sanitaires. Un accès direct aux financements nationaux et européens, gage de stabilité et de sécurité économique. Une intégration politique complète à la République, avec représentation au Parlement, au Conseil économique, social et environnemental, et dans les grandes institutions de l’État.
Les limites existent également :Une faible capacité d’adaptation locale : les élus ne peuvent pas créer leurs propres règles, même sur des sujets essentiels (emploi, fiscalité, environnement). Une bureaucratie lourde, freinant les politiques publiques locales. Une dépendance structurelle à l’État central, source d’inertie et de frustration collective.
L’article 73 garantit la stabilité, mais au prix d’une marge de manœuvre réduite.
Il protège, mais il fige.
L’autonomie : la responsabilité sans filet
L’autre voie possible est celle de l’article 74 de la Constitution, celui du régime d’autonomie, déjà en vigueur en Polynésie française, à Saint-Martin ou à Saint-Pierre-et-Miquelon.
Les avantages :La possibilité d’exercer un pouvoir normatif local : la collectivité peut adopter ses propres lois (“lois du pays”) dans des domaines clés : économie, culture, environnement, fiscalité, énergie, transport. Une responsabilité politique renforcée, adaptée aux réalités locales. Une reconnaissance politique et identitaire accrue, qui valorise la capacité du territoire à s’autogouverner.
Les risques : Une gestion plus complexe, qui suppose une haute compétence administrative et financière.
Une autonomie budgétaire fragile, dépendante des ressources propres et d’un transfert de charges parfois mal calibré.
La crainte d’un désengagement progressif de l’État, avec moins de solidarité nationale et un risque de fracture sociale accrue. Partant du principe que c’est celui qui paye qui commande…
L’autonomie n’est donc pas une rupture, mais une épreuve de responsabilité : elle donne des clés, mais impose de savoir s’en servir.
Elle peut conduire à la maturité politique comme à la désillusion.
Un statut intermédiaire : le pari d’un “article 73-1”
Face à ces deux pôles, certains plaident pour une voie médiane, un statut évolutif qui accorderait à la Martinique un pouvoir d’adaptation renforcé sans sortir du cadre de l’article 73.
Ce statut intermédiaire, que d’aucuns appellent “73-1” ou “73-3”, permettrait à la Collectivité territoriale de Martinique (CTM) d’élaborer des règles locales dans certains domaines limités, après habilitation du Parlement ou par voie de délégation constitutionnelle.
Les atouts :Une souplesse institutionnelle, la Martinique pourrait adapter certaines politiques publiques (emploi, logement, énergie, économie bleue) aux réalités locales, sans bouleverser son lien à la République.
Une expérimentation encadrée, qui permettrait de tester de nouvelles compétences avant une éventuelle évolution statutaire plus large.
Une stabilité politique, rassurant à la fois la population, l’État et les partenaires économiques.
Les limites sont: Un risque de flou juridique, nécessitant des clarifications constantes entre Paris et Fort-de-France.
Des pouvoirs limités, qui pourraient décevoir ceux qui attendent une transformation plus profonde.
La difficulté d’obtenir une révision constitutionnelle, sans laquelle ce régime hybride reste théorique.
Ce scénario pourrait représenter un compromis raisonnable : celui d’une autonomie d’action sans rupture institutionnelle, ou d’une responsabilité partagée entre l’État et la Collectivité.
Le véritable enjeu : la confiance dans la capacité à se gouverner
Au final, le débat sur le statut ne se résume pas à un choix juridique : c’est un choix de société.
Quelle place veut-on accorder à la responsabilité locale ?
Jusqu’où la Martinique veut-elle aller dans la maîtrise de son destin, tout en maintenant les garanties de solidarité nationale ?
Aucune formule institutionnelle ne résoudra, par elle seule, les défis économiques, sociaux et culturels du territoire.
Mais un statut ajusté, souple et assumé, pourrait offrir à la Martinique ce dont elle manque le plus : la possibilité d’essayer, de décider, et d’évaluer par elle-même.
Le Congrès des élus de 2025 n’aura pas à choisir entre le confort du statu quo et le vertige de la rupture.Il devra inventer une voie martiniquaise, faite de lucidité, de responsabilité et de confiance. En l’état des choses, ne nous leurrons pas c’est sur ces points que l’on se trouve en déficit. C’est là le constat de tout autonomiste lucide et réaliste.
Gérard Dorwling-Carter