Face aux préoccupations croissantes liées au coût de la vie, une délégation de l’Autorité de la concurrence séjourne actuellement sur l’île pour mener une enquête approfondie sur la formation des prix et des marges dans le secteur de la grande distribution alimentaire.
Un marché sous tension
Depuis la saisine du gouvernement le 29 janvier 2025, le dossier de la vie chère en Martinique s’est imposé comme une priorité. L’inflation y reste durablement supérieure à celle de l’Hexagone : selon l’Insee, les produits alimentaires ont augmenté de près de 9 % entre 2022 et 2024, contre 6 % en moyenne en France hexagonale.
Cette mission intervient dans un contexte où le panier moyen d’un foyer martiniquais dépasse de 30 à 40 % celui d’un ménage de l’Hexagone, alors que les revenus médians restent inférieurs de 25 %. Une distorsion qui nourrit la colère sociale et fragilise la cohésion économique de l’île.
Les marges dans le viseur
Mandatée conjointement par le ministre des Outre-mer et le ministre de l’Économie, l’Autorité de la concurrence s’attache à évaluer les pratiques tarifaires et les niveaux de concentration économique dans les filières d’importation, de gros et de distribution.
Gwenaëlle Nouët, rapporteure générale adjointe et référente Outre-mer, conduit cette délégation composée de plusieurs rapporteurs économiques. Leur mission : comprendre la formation des prix tout au long de la chaîne de valeur, du port à la caisse, et identifier les marges à chaque étape.
Les enquêteurs rencontrent successivement les importateurs-grossistes, les gérants de grandes surfaces, les producteurs locaux, les syndicats de consommateurs et les autorités locales. Leurs entretiens s’inscrivent dans la continuité des précédents travaux de l’Autorité, qui en 2019.
Des marges opaques et une concurrence limitée
Les premiers constats rappellent la structure oligopolistique du marché local : de grands groupes contrôlent la majorité des importations, de la logistique et de la distribution alimentaire. Les enquêteurs devront dire si intégration verticale crée une situation où les marges s’additionnent, sans réelle pression concurrentielle.
En Martinique, l’importateur est parfois le grossiste et le distributeur final : la distinction entre les acteurs limite-t-elle la transparence des prix ? Les petits commerçants et les circuits de distribution alternatifs sont-ils paralysés face à la puissance logistique et financière de ces conglomérats.
L’attente d’une régulation durable
Les conclusions de cette enquête, attendues pour le premier trimestre 2026, devraient nourrir la réflexion gouvernementale sur la réforme du cadre concurrentiel outre-mer. Plusieurs pistes sont évoquées : la création d’un observatoire permanent des marges à l’échelle locale, la révision du décret Lurel (2013) encadrant les pratiques tarifaires, ou encore un renforcement du pouvoir de contrôle des autorités locales sur les prix et les circuits d’importation.
Ces propositions s’inscrivent dans le prolongement du projet de loi contre la vie chère, actuellement examiné par le Parlement, et des travaux du Conseil économique, social, environnemental, de la culture et de l’éducation de Martinique (CÉSECÉM), qui a recueilli plus de 400 propositions citoyennes dans le cadre de l’initiative Lakou Citoyen.
Des consommateurs en quête de transparence.
Pour de nombreux Martiniquais, l’enjeu dépasse les chiffres. Il s’agit de rétablir la confiance dans un système économique perçu comme verrouillé.