Privés de billets de 500 euros, les réseaux de la drogue se tournent vers les cryptomonnaies. Un basculement silencieux, mais décisif, dans l’économie du crime mondial.
Pendant des années, les cartels de la cocaïne ont reposé sur une mécanique bien huilée : transformer les recettes en liquide, convertir les petites coupures en billets de 500 euros, puis les expédier par avion via des « mules » vers la Colombie. Une fois sur place, l’argent était réinjecté dans des commerces de façade – restaurants, salons de coiffure, stations-service – bouclant la boucle du blanchiment.
Selon les criminologues Peter Reuter et Melvin Soudijn, ce transport d’espèces représentait jusqu’à 15 % des montants déplacés, entre rémunérations, conversions et logistique.
La fin du billet de 500 euros change tout
Le 4 mai 2016, la Banque centrale européenne (BCE) met fin à l’émission du billet violet, symbole des transactions clandestines. En dix ans, leur nombre passe de 614 millions à moins de 220 millions.
Cette disparition contraint les trafiquants à trouver une autre voie : c’est le moment où le bitcoin et les cryptomonnaies s’imposent. Selon l’économiste Pierre-Charles Pradier (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, The Conversation FR, 18 octobre 2025), ce tournant a reconfiguré l’économie du blanchiment.
L’or numérique du crime organisé
À partir de 2016, les trafiquants échangent leurs espèces contre des cryptomonnaies – d’abord le bitcoin, puis l’USDT-Tether, un jeton numérique adossé au dollar.
Les plateformes d’échange peu régulées, comme Garantex, et des circuits parallèles basés à Dubaï permettent désormais de payer les fournisseurs en Colombie sans passer par les banques.
Résultat : le coût du blanchiment chute à 3 %, contre 10 à 15 % auparavant.
L’opération Destabilize, menée par la National Crime Agency britannique, a documenté l’existence de ce nouveau réseau russo-européen de blanchiment, où les cryptos remplacent le cash.
Des États à la traîne
Pour contrer cette mutation, l’Union européenne et le G20 ont mis en place le Crypto-Asset Reporting Framework (CARF), imposant plus de transparence aux plateformes.
En France, la loi de juin 2025 « visant à sortir la France du piège du narcotrafic » renforce les moyens judiciaires : création d’un parquet spécialisé, fermeture des commerces de façade, et gel des avoirs en cryptoactifs.
Mais les criminels innovent plus vite que la loi. Les crypto-actifs, partiellement anonymes et mondialisés, offrent une fluidité et une discrétion inédites.
Un jeu du chat et de la souris
L’apparition des cryptomonnaies a fait perdre plusieurs années à la lutte contre le crime organisé.
Les flux illicites circulent désormais « à la vitesse du réseau », invisibles, fractionnés et transfrontaliers.
Les États, eux, peinent à suivre.
La guerre contre le blanchiment est entrée dans l’ère du numérique, et les cartels ont déjà pris une longueur d’avance.
Source principale : Pierre-Charles Pradier, “Comment les trafiquants de cocaïne blanchissent l’argent des cartels”, The Conversation FR, 18 octobre 2025, DOI : 10.64628/AAK.pcm6urhfp.
Sources complémentaires : BCE (2016) ; National Crime Agency (2024) ; ONUDC (2024) ; Reuter & Soudijn (2008).