Analyse de Jeff Lafontaine pour les abonnés de son groupe Whatsap
À l’approche des prochaines échéances électorales, un constat s’impose en Martinique : la défiance citoyenne n’a jamais été aussi forte. Alors que les appareils politiques traditionnels commencent leurs préparatifs dans un entre-soi familier, il est urgent de s’interroger sur les racines de cette fracture. Le mal qui ronge notre démocratie locale a un nom : l’endogamie politique.
L’abstention massive observée lors de chaque scrutin n’est pas un accident : c’est un acte politique.
Elle traduit une rupture entre les Martiniquais et un système électoral devenu illisible, dévoyé par des décennies de trahisons, de clientélisme et de confiscation du pouvoir par une caste politique installée.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : lors des municipales de 2020, l’abstention a dépassé 54 % à Fort-de-France, 61 % à Trinité, 66 % au Lorrain, 58 % à Saint-Joseph, et parfois même 70 % dans certaines sections rurales. Aux législatives de 2022, elle a atteint plus de 72 % en moyenne sur l’ensemble de la Martinique. En 2021, pour les élections territoriales, 68 % des électeurs martiniquais ne se sont pas déplacés.
Ce désintérêt n’est pas une preuve de désengagement civique.
C’est un désaveu cinglant du système représentatif actuel. Mais rejeter le système ne signifie pas abandonner le terrain. Au contraire : conquérir une municipalité, c’est se réapproprier un espace politique de proximité, là où se décident concrètement les politiques d’eau, de logement, d’éducation, de culture, de sécurité ou de santé.
85 ans de confiscation du pouvoir par une “gauche” qui jouit du pouvoir sans jamais l’assumer
L’histoire électorale de la Martinique est aussi celle de l’accaparement du pouvoir par des clans politiques, souvent dans une logique monarchique plus que démocratique. À Fort-de-France, la ville est dirigée sans interruption par la même famille politique — le Parti progressiste martiniquais (PPM) — depuis 1945. Cela représente près de 80 ans de pouvoir ininterrompu. Aimé Césaire (1945–2001), Serge Letchimy (2001–2010), Didier Laguerre (2010–aujourd’hui) : une transmission en ligne directe, sans véritable débat interne ni renouvellement démocratique. Une véritable atonie politique.
Aux Anses-d’Arlet, la même majorité municipale règne depuis vingt-six ans, souvent sans opposition réelle. À Sainte-Marie, Trinité, Saint-Joseph ou le Lamentin, plusieurs communes ont été ou sont encore sous l’emprise de figures politiques installées depuis plus de vingt ou trente ans, parfois reconverties en députés, sénateurs ou présidents d’institutions. Ce système de vases communicants empêche toute alternance réelle. Aujourd’hui, des alliances de circonstance, insignifiantes politiquement, soutiennent ces mêmes clans pour pérenniser ce pouvoir verrouillé.
Reprendre une mairie, c’est reprendre un pouvoir trop longtemps confisqué
Conquérir une municipalité ne doit pas être vu comme une ambition personnelle. C’est d’abord un apprentissage collectif, un terrain où s’exerce la démocratie en actes. La campagne devient un outil d’éducation populaire, d’organisation de quartier et de débats citoyens. Le candidat ne doit pas être un chef de bande, mais un mandataire sous contrôle populaire. Il n’incarne pas un destin personnel, mais une ambition collective.
Et si la victoire électorale est l’objectif visible, le véritable trophée se trouve aussi dans le chemin parcouru : dans les consciences qu’on réveille, les compétences qu’on construit, la confiance qu’on restaure entre les habitants.
Comme le résume Jeff Lafontaine : « Il faut sortir le sortant. »