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    Caraïbe

    En Haïti, dans l’enfer des gangs

    octobre 24, 2025Mise à jouroctobre 24, 2025Aucun commentaire
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    The Sunday Times
    Traduit de l’anglais

    Rares sont les journalistes occidentaux à se rendre à Port-au-Prince, la capitale d’Haïti, depuis que les gangs y ont pris le pouvoir. La journaliste britannique Louise Callaghan, correspondante du quotidien “The Times” pour les Amériques, s’y est rendue en août dernier. Son récit est glaçant.

    Le jour de sa disparition, Béatrice portait l’uniforme scolaire, une blouse jaune et un pantalon bleu. Ce matin-là, sa mère, Roseline, l’a déposée à l’arrêt de bus et l’a quittée en lui faisant un signe de la main.

    De retour chez elle, elle s’est aperçue que Béatrice avait oublié son argent de poche et elle a appelé le directeur de l’école pour lui demander de la laisser déjeuner à la cantine – qu’elle réglerait plus tard. Mais Béatrice n’est pas venue à l’école, lui a-t-il répondu.

    Elle avait été enlevée par les gangs qui contrôlent pratiquement toute la capitale, Port-au-Prince : des adolescents et des jeunes gens affalés sur des canapés défoncés à chaque coin de rue, un fusil d’assaut sur les genoux, qui imposent leur loi sur la ville depuis qu’ils ont chassé le gouvernement, en mars 2024. Béatrice avait 15 ans, aimait les mathématiques, et elle avait disparu.

    Roseline a appelé ses amis, ratissé tout le quartier. Puis, elle a appris que le bus était tombé en panne avant d’arriver à l’école. Béatrice attendait sur le trottoir avec les autres passagers lorsque des hommes masqués ont déboulé et l’ont emmenée. “J’ai cherché partout, j’ai interrogé tout le monde”, me raconte Roseline, 39 ans, réfugiée dans un foyer pour femmes de Port-au-Prince.

    Pauvreté, malnutrition et violence

    Haïti est aujourd’hui le pays le plus pauvre des Caraïbes et d’Amérique latine. Son PIB par habitant est proche de celui du Bangladesh. La moitié de la population ne mange pas à sa faim. Des centaines de milliers d’enfants souffrent de malnutrition.

    Haïti, chiffres clés.

    Dans la capitale, plus personne ne répond de rien : il n’y a plus personne aux commandes, plus personne pour remettre de l’ordre. Les gangs règnent sans partage sur pratiquement tous les quartiers de Port-au-Prince et ses faubourgs, qui concentrent près d’un quart des 12 millions d’habitants du pays.

    La police est disséminée sur les 10 % de la capitale encore sous contrôle gouvernemental, où elle gare ses véhicules blindés aux carrefours et tire à vue sur les individus qu’elle soupçonne d’être des membres d’un groupe armé.

    Pour retrouver un disparu, il n’y a pas d’autre choix que de s’adresser au chef de gang du quartier – une perspective qui terrifiait Roseline, mais elle a fini par s’y résoudre. Le caïd lui a assuré qu’il ferait tout ce qui serait en son pouvoir. Après deux jours sans nouvelle, Roseline a pris le taureau par les cornes.

    Une colonie florissante

    “La perle des Antilles”. Ces mots figurent sur toutes les plaques d’immatriculation des voitures et des motos qui asphyxient les rues de Port-au-Prince sous d’épais nuages de smog. Christophe Colomb a débarqué sur l’île en 1492, et l’a baptisée “La Española” [“L’Espagnole”], un nom ensuite latinisé en “Hispaniola” [“La petite Espagne”]. La couronne espagnole comprend aussitôt que ce territoire est une corne d’abondance et une porte d’entrée sur le Nouveau Monde, et le colonise.

    L’autrice – Louise Callaghan

    Installée à New York, Louise Callaghan est la correspondante du Sunday Times pour les Amériques. Elle s’est fait remarquer, alors qu’elle était correspondante de cette même publication au Moyen-Orient, pour la qualité des reportages qu’elle a livrés sur la crise des migrants à Lesbos ou sur le siège de Mossoul, entre autres. Plusieurs fois primée, elle se distingue par son aptitude à mettre l’humain au premier plan, y compris dans les situations de crise ou de chaos.

     

    Au XVIIe siècle, des boucaniers et des marchands français s’installent progressivement sur la côte ouest. Hispaniola est officiellement partagée pour la première fois en 1697 [par le traité de Ryswick], lorsque l’Espagne octroie à la France le tiers occidental du territoire, qui prend le nom de Saint-Domingue, tandis que la partie orientale, Santo Domingo [l’actuelle République dominicaine], reste sous domination espagnole.

    En 1804, un pays libre

    À la fin du XVIIIe siècle, Saint-Domingue est la colonie la plus riche et la plus florissante du monde. Après avoir réduit en esclavage et anéanti la population autochtone taino par les maladies et les mauvais traitements, les grands propriétaires de plantations de canne à sucre et de café ont entrepris de faire venir des esclaves africains.

    À mesure que ces derniers sont morts, ils en ont tout bonnement importé d’autres. Le travail de cette main-d’œuvre asservie rapporte d’immenses richesses à la monarchie française.

    En 1791, les esclaves de Saint-Domingue se révoltent contre leurs maîtres. Ainsi débute le plus grand soulèvement d’esclaves depuis que Spartacus a défié la République romaine. Toussaint Louverture, ancien esclave promu lieutenant-général, remporte une série de victoires militaires et prend possession de la colonie [arrêté, il meurt en détention en France, en 1803].

    En 1804, Saint-Domingue proclame son indépendance vis-à-vis de la France et devient un pays libre gouverné par d’anciens esclaves. Jean-Jacques Dessalines, un révolutionnaire qui devient bientôt le premier dirigeant du pays, redonne à l’île son nom taino, “Haïti” [“la montagne dans la mer” ou “âpre terre”, selon les versions].

    L’une de ses premières initiatives [avant son assassinat en 1806] est d’ordonner le massacre des colons blancs, conduits dans la baie de Port-au-Prince où ils sont noyés sous les yeux d’équipages de navires marchands étrangers. D’autres sont décapités ou transpercés par les baïonnettes.

    La révolution et les représailles qui s’ensuivent coûtent cher à Haïti. L’île se retrouve économiquement isolée. La situation s’aggrave encore quand, en 1825, la France envoie à Port-au-Prince une force navale composée de 14 bâtiments de guerre pour contraindre son ancienne colonie à verser une indemnité exorbitante aux anciens propriétaires d’esclaves [en échange de la reconnaissance de son indépendance].

    Au XXᵉ siècle, le grand effondrement

    Les autorités haïtiennes sont confrontées à un dilemme : payer ou engager une nouvelle guerre. Elles choisissent de payer. Selon les historiens, cette dette envers la France, qui n’a été soldée qu’en 1947, est l’une des raisons pour lesquelles Haïti se trouve dans la situation actuelle.

    De l’autre côté de la frontière qui coupe Hispaniola en deux, la République dominicaine abrite aujourd’hui des complexes hôteliers de luxe, accueille plus de dix millions de touristes par an et affiche un PIB par habitant cinq fois supérieur à celui de son voisin.

    CHRONOLOGIE7 étapes vers l’abîme

    1986. Chute de la dictature des Duvalier, au pouvoir depuis 1957, et espoir d’un nouveau départ. Une Constitution est adoptée en 1987. Mais, jusqu’en 1994, violences et coups d’État se succèdent.

    1994. Élu en 1990, renversé et exilé en 1991, Jean-Bertrand Aristide, un ancien prêtre, reprend la présidence. La Constitution l’empêchant d’enchaîner deux mandats, il alterne au pouvoir avec René Préval, un partisan, mais déçoit de plus en plus.

    2004. Paris et Washington précipitent un nouvel exil d’Aristide, pour son inaction face à “l’urgence humanitaire”.

    2010. Séisme meurtrier puis épidémie de choléra.

    2016. Ouragan dévastateur.

    2021. Le président Jovenel Moïse, élu en 2017, est assassiné sur fond de corruption et d’insécurité permanentes. Le Premier ministre, Ariel Henry, censé organiser des élections, s’accroche au pouvoir.

    Mars 2024. “Barbecue”, l’un des chefs des gangs qui règnent désormais sur Port-au-Prince, menace le pays de “guerre civile”si Ariel Henry ne démissionne pas. Celui-ci obtempère. Instauration, le mois suivant, d’un très fragile Conseil présidentiel de transition.

     

    Un autre facteur du déclin d’Haïti tient indubitablement à la corruption et la violence de ses dirigeants du XXe siècle, depuis des dictateurs tels que François Duvalier, surnommé “Papa Doc”, et son fils, Jean-Claude Duvalier, dit “Bébé Doc”, dont le régime [de 1957 à 1986] a été marqué par un despotisme effréné et une litanie de massacres, jusqu’à des périodes d’instabilité politique émaillées de coups d’État et d’élections contestées.

    Puis, le 12 janvier 2010, un séisme de magnitude 7 ravage Port-au-Prince, faisant au moins 100 000 morts [le gouvernement haïtien livre un bilan trois fois supérieur]. Plus de 1,3 million de personnes deviennent sans-abri.

    Au lendemain de la catastrophe, les Casques bleus de l’ONU introduisent accidentellement une épidémie dévastatrice de choléra en déversant dans une rivière les eaux contaminées d’une fosse septique de leur base, décimant plus de 10 000 personnes. Des soldats de la paix étrangers et des employés d’ONG sont accusés d’exploitation sexuelle de femmes et d’enfants haïtiens. Les Haïtiens y voient un nouvel exemple de violence coloniale et de racisme.

    À LIRE AUSSI : Décryptage. En Haïti, plus de deux siècles de corruption

    Pendant ce temps, les dirigeants du pays continuent de détourner l’argent public. Sur les milliards de dollars versés par les donateurs du monde entier aux organisations d’aide internationale, seule une infime partie est injectée dans l’économie locale. Tous les ingrédients de l’effondrement de l’État sont réunis.

    En 2021, le pouvoir aux gangs

    L’étincelle se produit dans la nuit du 6 au 7 juillet 2021, lorsque 28 mercenaires font irruption au domicile du président Jovenel Moïse [au pouvoir depuis 2017] et l’assassinent. Après quoi, les bandes armées qui régnaient déjà en maîtres sur certains quartiers de la capitale, soutenues par d’anciens politiciens et d’autres encore en poste qui les utilisent pour servir leurs propres intérêts, s’engouffrent dans la brèche. Les enlèvements se multiplient, ciblant notamment les fils et les filles de l’élite, kidnappés en pleine rue.

    En mars 2024, les gangs envahissent toute la ville, installent des barrages, libèrent des milliers de détenus et paralysent la capitale. Une mission multinationale d’appui à la sécurité, déployée pour aider l’armée haïtienne à contenir cette flambée de violence, se voit reprocher son inefficacité.

    Aujourd’hui, Port-au-Prince est en état de siège. On ne peut en sortir que par hélicoptère ou en prenant l’un des rares vols au départ de l’aéroport, également encerclé par les gangs. La quasi-totalité de la population est prise dans la nasse.

    Les cadavres pourrissent dans la rue. Ruth Guillaune, dont le fils Richie a été tué par les gangs – ils l’ont arrêté un jour alors qu’il roulait à moto, l’ont détroussé et tué d’une balle –, raconte qu’il lui a fallu une journée entière pour retrouver son corps. Entre-temps, des chiens errants l’avaient à moitié dévoré.

    Ruth Guillaune a perdu son fils aîné, Richie, abattu alors qu’il circulait à moto.

    Elle est restée toute la journée accroupie auprès de lui, jetant des pierres aux chiens pour qu’ils n’achèvent pas de le dépecer, mais quand les secours sont arrivés, ils ont refusé de l’emmener à la morgue car il ne restait plus grand-chose de son corps – un morceau de mâchoire et la majeure partie du torse et des jambes. Elle l’a donc enterré sur place, dans la poussière. “Il était toujours à mes côtés”, soupire-t-elle, assise par terre dans un camp de déplacés improvisé.

    Des exécutions arbitraires, abjectes

    Les gangs exercent un pouvoir absolu. Des jeunes hommes armés de fusils d’assaut, et certaines femmes, gardent leur poste de contrôle, un verre à la main, la musique à plein tube. Ils envoient des garçons leur chercher ceci ou cela, ordonnent aux filles de leur faire la cuisine et le ménage, ou de leur nettoyer les ongles de mains et de pieds.

    “Chaque enfant a son rôle dans le groupe, nous explique Jean, un travailleur humanitaire qui vit dans une zone contrôlée par les gangs. Certains sont là pour faire les courses, et des filles sont [sexuellement exploitées], font la lessive et les manucures pour les hommes armés.”

    La violence est permanente, absurde. Il n’y a aucune justice, ni personne pour répondre de quoi que ce soit. Les 6 et 7 décembre 2024, plus de 200 femmes et hommes âgés qui habitaient le quartier de Wharf Jeremie, un quartier portuaire passé sous la coupe des gangs, ont été exécutés dans une tuerie orchestrée par le “chef” du secteur, un certain Micanor Altès, dans le cadre de ce qui a été décrit comme une cérémonie vaudoue.

    À LIRE AUSSI : Violences. Haïti : un “massacre abject” commandé par un chef de gang fait 184 morts

    Le père de Mackenson Cangé a été assassiné la première nuit. Il s’appelait Marcel, avait 76 ans, était un fidèle de l’église locale et une personnalité du quartier. Il était chez lui avec sa femme lorsque les gangs l’ont emmené, sans aucune explication.

    Le quartier de Poste-Marchand, dans la banlieue de Port-au-Prince, le 15 décembre 2024, après une attaque du gang de “Barbecue”. Des habitants ont été tués, et des voitures, des maisons et des commerces incendiés.

    Une rumeur s’est par la suite répandue : Micanor Altès avait ordonné de massacrer tous les pratiquants du vaudou qu’il croyait responsables de la maladie de son jeune enfant. Ce que dément M. Cangé : Micanor “voulait simplement accomplir son propre sacrifice, et c’est ce qu’il a fait”, affirme-t-il, ajoutant : “Il est toujours là, et il continue de massacrer des gens.”

    Pour les femmes, l’insécurité permanente

    À la clinique de Médecins sans frontières de Cité Soleil, [un immense bidonville] entièrement contrôlé par des gangs, Rose Charline Calixte, sage-femme, voit défiler pratiquement tous les jours des femmes et des jeunes filles brisées. Une gamine de 14 ans, enlevée et séquestrée plusieurs jours par les gangs, a subi des viols collectifs et son corps a été tatoué d’insultes grossières.

    “Ces femmes sont à la merci de ces gangs”, explique Mme Calixte. Elles sont violées partout – dans la rue, au marché, sur le chemin de l’école. Comme beaucoup n’ont aucun moyen de quitter leur quartier, ces abus se répètent souvent. Environ un cinquième des victimes que la clinique reçoit sont des enfants.

    Pour Katia Hilaire, psychologue à la Fondation Toya [une structure locale d’aide aux femmes], ces viols ne sont pas seulement le produit d’une société sans loi. Ils relèvent d’une stratégie, pour mieux prendre le contrôle d’une zone et assujettir ses habitants.

    “Quand les gangs s’emparent d’un quartier, ils entrent dans les maisons, tuent les maris devant leurs femmes, puis battent et violent celles-ci. Les enfants assistent à ces exactions – quand ils ne sont pas violés eux aussi, en particulier les petites filles.”

    Roseline a attendu deux jours que le chef du gang local lui dise où se trouvait sa fille. Au deuxième soir, n’ayant toujours aucune nouvelle, elle s’est rendue chez lui à 3 heures du matin et s’est assise devant sa maison, bien décidée à se suicider sur le pas de sa porte s’il ne retrouvait pas Béatrice. Il est sorti à 8 heures. Elle l’a supplié. Il a passé un coup de fil. Puis un autre. Et un troisième. Béatrice était en vie et ses ravisseurs acceptaient de la rendre.

    Depuis trois jours, Roseline n’avait rien mangé et ne dormait plus. Elle est montée dans une voiture avec des membres du gang de son quartier, qui l’ont emmenée à un point de rendez-vous. Ils ont attendu. Puis une voiture est arrivée et un groupe d’hommes a fait descendre Béatrice et l’a jetée sur la banquette à côté de sa mère. Son uniforme scolaire était couvert de sang, son cou profondément entaillé.

    Crise alimentaire, réduction de l’aide humanitaire

    Les organisations humanitaires ont défini cinq phases pour mesurer l’insécurité alimentaire, des situations d’insuffisance minimale jusqu’aux situations aiguës de famine. En Haïti, à deux heures de vol de Miami, 2,1 millions de personnes, soit 18 % de la population, sont confrontées à des niveaux de phase 4 (urgence) et 5 (famine).

    Nous avons rejoint l’espace d’un week-end les équipes du Programme alimentaire mondial (PAM) qui distribuaient de l’aide à Port-au-Prince. Plus de 7 000 personnes faisaient la queue sous le soleil pour recevoir des sacs de riz, de haricots et de l’huile. Il y a cinq ans, la plupart n’auraient pas été là. La crise alimentaire en Haïti s’est aggravée à un rythme alarmant.

    L’ONU a déclaré qu’Haïti avait besoin de 900 millions de dollars (857 millions d’euros) d’aide pour 2025. À ce jour, le pays n’a reçu que 9 % de cette somme. L’USAID [l’agence américaine d’aide au développement international] a effectué des coupes claires dans son budget et démantelé plusieurs projets sur ordre du président Trump, mais l’ensemble du système humanitaire occidental réduit également ses financements.

    Cela étant, de plus en plus d’Haïtiens estiment aujourd’hui que ces injections d’argent provenant de l’étranger ne changent rien. Depuis 2010, Haïti a reçu plus de 13 milliards de dollars [11 milliards d’euros] d’aide internationale. Aucune des 3 000 ONG présentes dans le pays n’a empêché les gangs de prendre le pouvoir.

    Plusieurs mois après l’enlèvement de Béatrice, Roseline et sa fille vivent dans un foyer pour femmes. Elles ne peuvent pas rentrer chez elles, car les ravisseurs pourraient revenir. “La police ne contrôle rien”, déplore Roseline. Depuis cet événement, Béatrice ne parle pratiquement plus. Elle regarde dans le vide ou fait défiler TikTok sur son téléphone. Il lui arrive de se réveiller en hurlant.

    Lorsqu’elle accepte de nous parler, avec sa mère à ses côtés, elle confie ne pas se rappeler que ses violeurs aient dit quoi que ce soit. Elle se rappelle uniquement les cris des deux autres filles enlevées avec elle, et ses suppliques pour voir sa mère. Depuis l’agression, elle est séropositive. Ni elle ni sa mère ne pensent pouvoir un jour obtenir justice. “Si Dieu m’en donnait le pouvoir, je les tuerais tous”, dit Roseline.

    Des mercenaires étrangers dans la capitale

    Ce qui se rapproche le plus d’un gouvernement en Haïti se trouve au sommet d’une colline, dans la partie de la ville qui échappe aux gangs. Derrière les portes de la Villa d’accueil [l’un des sièges du pouvoir exécutif], nous rencontrons Fritz Alphonse Jean, chef du Conseil présidentiel de transition qui, techniquement, fait office de dirigeant d’Haïti.

    M. Jean, économiste et éphémère Premier ministre [de février à mars 2016], a pris ses fonctions le 7 mars 2025. Pour lui, la violence qui règne aujourd’hui en Haïti a été délibérément provoquée. “Le chaos dans lequel nous vivons ne vient pas de nulle part, souligne-t-il. C’est quelque chose qui a été préparé.”

    Au fil des décennies, poursuit-il, l’État a été pris en otage par des acteurs malveillants, notamment des hommes d’affaires et des politiciens, qui ont soutenu les gangs (Fritz Jean a lui-même été accusé de corruption, ce qu’il nie). Les gangs se sont enrichis et ont gagné du terrain grâce aux enlèvements et à l’extorsion, et ont fini par ne plus avoir besoin de leur soutien.

    À

    Mais, affirme Fritz Jean, l’État commence à riposter – avec des appuis extérieurs. Au début de l’année, plusieurs rapports ont révélé que l’État haïtien avait fait appel à Erik Prince pour protéger son ultime bastion à Port-au-Prince. Cet homme d’affaires américain et ancien membre des forces spéciales de l’US Navy s’était fait remarquer à l’international par les exactions de sa société militaire privée Blackwater, qui avait notamment massacré des civils en Irak en 2007.

    Depuis, des mercenaires étrangers ont été aperçus dans la capitale. La société d’Erik Prince, Vectus Global, et d’autres prestataires étrangers participent à la protection des zones sous contrôle gouvernemental et ont annoncé en août [2025] qu’ils s’apprêtaient à intensifier leurs opérations afin de reprendre des territoires détenus par les gangs.

    Depuis le début de l’année, ils ont également lancé des frappes de drones ciblant les chefs de gangs. S’ils espéraient les éliminer et leur reprendre leurs fiefs, ils n’y sont pas parvenus. Les frappes de drones ont tué environ 300 personnes, dont des membres de gangs, mais aucun de leurs chefs.

    Rencontre avec le sinistre “Barbecue”

    Béatrice a été enlevée dans un quartier de Port-au-Prince passé sous la tutelle d’un chef mafieux connu sous le nom de “Barbecue” – sans doute l’homme le plus puissant de la capitale. Cet ancien policier, qui s’appelle en réalité Jimmy Chérizier, dirige la coalition de gangs Viv Ansanm [“Vivre ensemble”], qui a été officiellement désignée comme organisation terroriste par le gouvernement américain en mai dernier.

    Le chef de gang Jimmy Chérizier, dit “Barbecue”, après un échange avec des journalistes, à Port-au Prince, le 5 mars 2024.

    “Barbecue” est aujourd’hui un chef de guerre dont les hommes sont accusés de perpétrer d’innombrables viols et meurtres, et dont la tête est mise à prix pour 5 millions de dollars [4,3 millions d’euros] par le FBI. Il a fait son autopromotion à travers des interviews avec des journalistes et des influenceurs étrangers, se présentant comme un révolutionnaire dans la lignée de Louverture et Dessalines.

    Je n’ai aucune intention de participer à cette mascarade, mais je tiens à voir de près comment les gens vivent dans les zones qu’il contrôle et à l’interroger en face-à-face sur les allégations qui pèsent sur lui. C’est ainsi qu’un dimanche après-midi, accompagnée de Clarens Siffroy, un photographe haïtien, nous montons à l’arrière de deux motos qui franchissent tous les barrages policiers et nous conduisent à tombeau ouvert dans le territoire du gang.

    Nous traversons d’abord la zone morte, un terrain vague faisant office de zone frontalière, boueux et jonché de lambeaux de sacs en plastique accrochés aux ossatures de ce qui était autrefois des maisons. Nous roulons sur une grande mare de liquide rouge frais étalée sur un carrefour, les douilles vides cliquetant sous les roues. Puis nous pénétrons dans le territoire de “Barbecue”.

    Le long d’une route, nous apercevons une rangée de maisons en parpaing de couleur pastel, pareilles à celles de cartes postales des Caraïbes. Ce sont des coquilles vides, qui n’abritent plus qu’une poignée d’adolescents armés de fusils d’assaut. Les rues sont couvertes d’ordures. Les gens se fraient un chemin entre les flaques d’eau et les embouteillages. Enfin, nous arrivons dans le quartier de Saint-Martin.

    “Barbecue” n’est pas encore arrivé (“Il va se baigner”*, me dit-on), mais ses hommes sont là, et ils sont ivres. L’un d’eux, qui, à 44 ans, est beaucoup plus âgé que les autres, me propose une bouteille de Prestige, la bière locale. Je décline et il s’en ouvre une avec le canon de son pistolet. Nous nous installons dans la carcasse abandonnée d’une clinique jadis financée par l’USAID.

    Une demi-heure plus tard, une voiture arrive. “Barbecue” en sort, vêtu d’un treillis de couleur sable, et s’assoit avec nous. Je l’interroge en français, langue qu’il parle couramment, et il me répond en créole. Il se présente comme le “petit-fils” de Dessalines et m’explique qu’il mène un soulèvement des laissés-pour-compte d’Haïti, qui luttent contre un État défaillant gouverné par des élites corrompues :

    “Nous sommes un groupe de jeunes gens et de jeunes femmes issus des plus pauvres parmi les pauvres, des pires parmi les pires, qui prenons les armes et luttons contre le système”.

    Je l’interroge sur Béatrice. “Où a-t-elle été enlevée ?” me demande-t-il. “Dans l’une des zones que vous contrôlez.” Il voudrait davantage de détails, mais je me refuse à lui en fournir, de peur que ses hommes ne l’identifient et ne se vengent sur elle. Il me dit qu’il a lui-même une fille et qu’en tant que père de famille il ne peut concevoir que ses hommes soient des violeurs. “Je ne dis pas qu’elle ment”, poursuit-il, avant d’ajouter :

    “Je ne prétends pas que de tels actes n’arrivent jamais, mais s’ils se produisent, c’est parce que je ne suis pas au courant.”

    Pendant que notre conversation se poursuit, les jeunes gens qu’il a emmenés avec lui filment l’entretien avec leur téléphone, leur fusil d’assaut appuyé contre le mur. L’un porte des lunettes de soleil Gucci et une flasque de rhum dépasse de sa poche arrière. “Barbecue” affirme que rien ne prouve que ses combattants commettent des viols et des massacres.

    Je saisis la balle au bond : “Et si je vous envoie les preuves, vous engagez-vous à traduire en justice les responsables ?” “Oui”, répond-il. Cinq jours plus tard, je lui transmets par mail un fichier contenant tous les éléments que nous avons rassemblés, démontrant que ses hommes utilisent le viol comme arme de guerre. Je lui envoie également l’histoire de Béatrice.

    J’ai attendu. J’attends toujours.

    * En français dans le texte.

     

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