La Collectivité Territoriale de Martinique défend une aide forfaitaire en faveur des petits producteurs, destinée à corriger les déséquilibres historiques d’un modèle agricole trop longtemps tourné vers l’exportation.
Un modèle d’aide agricole dépassé
Cette mesure portée par la Collectivité Territoriale de Martinique (CTM) représente un tournant espéré depuis longtemps. Elle vise à corriger un déséquilibre structurel du POSEI, programme européen d’aides agricoles dont le mode de fonctionnement actuel exclut la majorité des exploitations tournées vers la diversification végétale.
Le POSEI (Programme d’Options Spécifiques à l’Éloignement et à l’Insularité) repose sur un modèle d’aides « à la tonne produite », principalement réservé aux Organisations de Producteurs (OP). Or, cette logique volumétrique s’avère profondément inadaptée à la réalité du tissu agricole martiniquais : moins d’un quart des exploitations sont adhérentes à une OP, et la plupart des petites exploitations — entre 1 et 3 hectares — ne se retrouvent pas dans les contraintes administratives et techniques de « l’apport total » exigé par ces structures.
Résultat : la très grande majorité des agriculteurs de diversification, pourtant au cœur de l’autonomie alimentaire du territoire, ne perçoivent aucune aide POSEI, ni même aucune aide au revenu.
Le CTEA : une réponse de justice et de cohérence
Face à cette iniquité, la CTM a conçu le Contrat territorial d’engagement agroécologique (CTEA), un mécanisme plus juste et plus cohérent. Le principe en est simple : ne plus rémunérer le volume exporté, mais l’engagement local et agroécologique.
Ce contrat reconnaît le rôle essentiel des petits exploitants qui approvisionnent les marchés de proximité et nourrissent les familles martiniquaises. Il encourage la résilience climatique et alimentaire d’un territoire encore trop dépendant des importations. Cette aide forfaitaire — modeste dans son montant, mais symboliquement puissante — n’est pas une faveur : elle corrige une inégalité de traitement entre les grands planteurs d’exportation et les petits producteurs du marché intérieur.
Elle incarne une vision plus équilibrée de l’agriculture : celle que la CTM a su concevoir avec lucidité et équité.
Une aide validée mais toujours bloquée
Sur le papier, tout est prêt. La Commission européenne a validé le dispositif. La CTM et la DAAF ont finalisé les modalités de versement. Mais l’acte d’exécution nationale, seul levier permettant d’ouvrir les paiements via l’ODEADOM, se fait toujours attendre.
Dans les faits, le dossier est bloqué à Paris, où l’on craint — selon certaines sources — que cette aide ne vienne en déduction des aides « banane ». Cette résistance silencieuse pense-t-on à la CTM “illustre le poids des filières d’exportation dans la gouvernance agricole française.”
Chaque semaine de retard aggrave la détresse d’exploitants déjà éprouvés par la sécheresse, la hausse du coût des intrants et une trésorerie exsangue. Les 2 millions d’euros promis, pourtant validés par Bruxelles, représentent une bouffée d’oxygène pour plus de 200 petits producteurs.
Vers un POSEI rénové ?
Au-delà de la Martinique, ce débat préfigure la refonte nécessaire du POSEI à l’échelle européenne. L’enjeu est de taille :
il s’agit de redéfinir un modèle d’aide agricole plus équitable, durable et adapté aux petites économies insulaires.
« Il est temps que la France et l’Europe réfléchissent à l’esprit d’un POSEI rénové », souligne un acteur du dossier. « Cette réforme n’est pas une option technique : c’est un impératif de justice agricole. »
La discussion promet d’être vive à Bruxelles dans les prochains mois. La Martinique y jouera un rôle moteur — pour peu que l’État français tienne parole et traduise enfin dans les faits la décision qu’il a lui-même défendue.



