C’est une phrase qu’il prononce sans emphase, mais avec une sincérité presque désarmante : « Ma rencontre avec Steve Gadet a changé ma vie. »
Publicitaire reconnu, membre du mouvement Tous Créoles !, Emmanuel de Reynal a longtemps porté une vision apaisée et inclusive de l’identité antillaise. Mais il reconnaît aujourd’hui que sa rencontre avec Steve Gadet – écrivain, rappeur, universitaire guadeloupéen, figure libre du débat postcolonial caribéen – a bousculé ses certitudes et enrichi sa compréhension du mot “créole”.
Une rencontre décisive
Les deux hommes se sont croisés pour la première fois lors d’un café-débat organisé à Fort-de-France, autour du thème de la mémoire et de la transmission. Ce jour-là, raconte Emmanuel de Reynal, « Steve parlait avec une intensité rare, entre poésie, sociologie et spiritualité. Il posait des mots que je n’osais pas encore employer. J’ai senti que j’avais en face de moi quelqu’un qui vivait la créolité non pas comme un concept, mais comme une vibration intérieure. »
Le dialogue s’est poursuivi au-delà de la salle. Des échanges d’e-mails, des rencontres, des collaborations : peu à peu, une amitié intellectuelle s’est installée. Gadet, le rappeur devenu universitaire, lui a ouvert d’autres fenêtres : celles d’une créolité consciente des blessures de l’histoire, mais tournée vers la réconciliation et la créativité.
De la communication à la conscience
Pour Emmanuel de Reynal, cette rencontre a agi comme un miroir : « Je venais du monde de la communication, du marketing, du faire-savoir. Steve m’a ramené à l’être, à l’authenticité du vécu, au poids des silences. J’ai compris que la question identitaire ne pouvait être ni gérée ni rationalisée. Elle doit être vécue, partagée, écoutée. »
Cette évolution se reflète dans ses interventions publiques plus récentes, marquées par un ton plus intime et une approche plus réflexive. Ses collaborations avec des artistes et des chercheurs issus de la diaspora caribéenne témoignent d’une volonté nouvelle : sortir des frontières symboliques, repenser la fraternité antillaise à la lumière des fractures mémorielles.
Deux voix pour une même quête
Steve Gadet, de son côté, parle d’Emmanuel de Reynal comme d’un passeur : « J’ai vu chez lui une sincérité, une envie d’écouter. Et surtout, le courage d’admettre qu’il apprenait encore. C’est rare. »
Entre eux, pas d’idéologie figée. Leur échange se nourrit de divergences et de respect mutuel. « Emmanuel m’a appris l’importance de la parole publique, dit Gadet. Et moi, je lui ai rappelé que la parole doit aussi venir de la rue, du cœur, des marges. »
Une dynamique de réconciliation
Cette rencontre symbolise sans doute un mouvement plus large dans la société antillaise : celui d’une génération prête à dialoguer entre héritages et blessures, à transformer la mémoire en projet. Ensemble, ils incarnent cette volonté de parler vrai, sans effacer les tensions, mais en cherchant dans la confrontation la possibilité d’un avenir commun.
« Steve m’a appris à écouter sans vouloir conclure », confie Emmanuel. « Je crois que c’est là que commence la véritable réconciliation. »
Leur échange n’a pas seulement rapproché deux trajectoires. Il a rouvert, pour beaucoup, un espace de parole où l’intelligence du cœur dialogue enfin avec celle de l’histoire.
Gérard Dorwling-Carter



