Le village de la Transat Café L’Or, installé sur le front de mer de Fort-de-France, attire depuis plusieurs jours visiteurs, curieux, familles et touristes venus découvrir les bateaux, les animations et les produits locaux. Si l’événement participe indéniablement à la mise en valeur de la Martinique comme destination maritime et touristique, il pose aussi une question essentielle : comment faire en sorte que cette dynamique profite réellement au centre-ville et à l’économie locale durable ?
Au milieu des stands, des voiliers amarrés et des musiques caribéennes, Thierry D’abadie de Lurbe, président de l’association Fort-de-France Cœur de Martinique, porte la voix de ceux qui vivent le centre-ville toute l’année : les commerçants. Il revient sur les ajustements réalisés cette année, les défis posés par la circulation entre le village et les boutiques, et la nécessité d’une stratégie concertée avec les institutions.
Antilla : La Transat Café L’Or crée un mouvement important autour du front de mer. Comment les commerçants du centre-ville vivent-ils ce moment ?
Thierry D’abadie de Lurbe : Les grands événements attirent toujours du monde, et c’est positif. Mais pendant longtemps, on a eu l’impression que la vie se concentrait uniquement sur le village, au détriment du centre-ville situé à quelques mètres. Ce décalage, on l’avait déjà observé lors de la Transat Jacques Vabre. Cette année, on a vraiment souhaité que les commerçants du centre-ville ne soient pas juste des spectateurs, mais des acteurs intégrés.
Plusieurs d’entre eux exposent sur le village, d’autres ont mis en place des vitrines renforcées, des horaires adaptés, et des collaborations avec des stands du front de mer. Cela crée une circulation, une porosité. Et ça, c’est essentiel.
Pourtant, certains commerçants, notamment autour de la Halle aux Souvenirs, ont exprimé au départ un sentiment d’isolement…
T.D. : Oui, parce que l’accès avait été brièvement barré en raison de travaux. Immédiatement, les commerçants nous en ont parlé. On a alerté la Ville, le directeur de cabinet, et très vite une solution a été trouvée. L’accès a été rouvert.
Ce moment est révélateur : si on ne communique pas, si on ne coordonne pas, on crée involontairement une cloison entre deux espaces qui devraient être en continuité. Ce n’est pas « le village d’un côté » et « la ville de l’autre ». C’est un seul espace d’accueil, une seule destination.
Vous parlez de « vitrine ». Qu’est-ce que le village représente pour Fort-de-France ?
T.D. : Le village, c’est une scène. C’est là que passent les touristes, les équipages, les journalistes, les familles. C’est un point d’entrée. Et ce que l’on montre à cet endroit reflète l’image de Fort-de-France et, plus largement, de la Martinique.
Quand on expose des produits locaux, des artisans, des saveurs, quand on raconte notre histoire, on donne envie d’aller plus loin. L’objectif, c’est que les visiteurs quittent le village, se promènent, découvrent les ruelles, les boutiques, les bars, les librairies, les galeries, la rue Colorée, l’architecture… C’est là que se joue la vie économique réelle.
Encore faut-il que l’offre commerciale corresponde à la demande des visiteurs…
T.D. : Exactement. Et cela demande de l’information, donc de la coordination.
Prenez les croisiéristes. Cette année, nous avons beaucoup de bateaux allemands. Or, un touriste allemand ne consomme pas comme un Américain. Les paniers ne sont pas les mêmes, les attentes ne sont pas les mêmes.
Si les commerçants ne savent pas qui arrive, ils ne peuvent pas adapter leur offre.
C’est pour cela que nous travaillons désormais en lien étroit avec le Comité Martiniquais du Tourisme (CMT) : nombre de passagers, nationalités, types d’attentes, habitudes d’achat, calendrier des arrivées… Ce sont des informations stratégiques.
Comment cette adaptation se traduit-elle dans les boutiques ?
T.D. : Par les produits d’abord. Certains visiteurs cherchent des pièces artisanales, d’autres veulent des souvenirs typiques, d’autres encore des produits alimentaires ou culturels.
Mais l’adaptation, c’est aussi :
- des horaires ajustés les jours d’escale,
- un accueil multilingue quand c’est possible,
- une mise en avant vitrine différente,
- parfois des prix et formats adaptés.
Ce n’est pas “changer pour plaire”, c’est accueillir intelligemment.
Le centre-ville souffre parfois d’une image de lieu difficile d’accès. Le village peut-il contribuer à inverser cette perception ?
T.D. : Oui, parce que le village attire. Ce que nous devons faire maintenant, c’est travailler sur la continuité urbaine.
Quand les touristes sortent du village, ils ne doivent pas se dire : « Ah, la visite est terminée ». Ils doivent se sentir invités à entrer dans la ville.
Cela passe par la signalétique, l’ouverture des rues, des animations complémentaires, mais aussi par le fait de raconter le centre-ville, sa culture, ses lieux historiques, son identité. Fort-de-France a une richesse patrimoniale énorme, mais elle doit être lisible
Avez-vous déjà pu mesurer l’impact du village sur le centre-ville cette année ?
T.D. : Oui. Je me base sur des observations concrètes.
Hier, je suis passé rue Colorée : des touristes étaient là, appareil photo à la main. Ce matin encore, en centre-ville, j’ai vu des familles venues du village entrer dans les boutiques. C’est exactement ce que nous voulons : un mouvement vivant, pas un événement isolé qui ne laisse rien derrière lui.
Quel est, selon vous, l’enjeu principal pour les prochaines éditions ?
T.D. : La préparation en amont, toujours. Informer, anticiper, co-construire.
Et puis continuer à faire du centre-ville un lieu où l’on se sent bien. Pas seulement un espace commercial, mais un espace de vie, de culture, de rencontre.
Les événements sont des tremplins, mais la solidité vient du quotidien.
La Transat Café L’Or n’est pas seulement une aventure maritime. C’est un moment où la Martinique montre au monde ce qu’elle souhaite être : accueillante, créative, vivante, fière de son centre-ville.
Pour que cette dynamique profite à tous, la clé sera la coordination, l’écoute et la circulation entre les espaces.
Comme le rappelle Thierry D’abadie de Lurbe :
« Le village est une vitrine. Mais l’âme de Fort-de-France, elle, est dans ses rues. »



