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À l’heure où le Canada réévalue sa stratégie sur l’intelligence artificielle et le fonctionnement de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACÉUM), l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL) multiplie les interventions publiques. L’organisme, qui regroupe la majorité des maisons d’édition francophones du pays, a récemment déposé deux mémoires à Ottawa. Leur objectif : rappeler que la souveraineté culturelle n’est pas négociable, même sous la pression conjuguée des géants technologiques et des accords de libre-échange. Fondée sur la défense du droit d’auteur et de la diversité des expressions culturelles, l’ANEL réclame des politiques publiques capables d’encadrer les usages de l’IA et de préserver l’exemption culturelle du Canada dans ses traités commerciaux. Son message s’inscrit dans la continuité d’un engagement constant pour un écosystème du livre fort, équitable et durable.
L’IA, entre promesse et péril pour le livre
Dans son mémoire du 31 octobre 2025, l’ANEL dresse un constat alarmant : les textes générés artificiellement prolifèrent sur les plateformes numériques, usurpant parfois le nom d’auteurs réels. Ces « œuvres fantômes » nuisent à la qualité, à la confiance et aux revenus des créateurs. L’association s’inquiète d’un « pillage technologique » où les modèles de langage s’approprient sans autorisation des corpus littéraires entiers. Elle réclame la transparence sur les œuvres utilisées pour entraîner les IA et un étiquetage obligatoire des contenus générés artificiellement. Mais elle nuance : l’IA peut aussi devenir un levier — pour la gestion des métadonnées, l’analyse de marchés ou la prévention du plagiat — à condition d’un encadrement clair.
Comme le résume le manifeste canadien, L’art est humain : « Le véritable progrès est celui qui bénéficie au plus grand nombre ».
Libre-échange et exception culturelle : un équilibre fragile
Trois jours plus tôt, l’ANEL remettait à Affaires mondiales Canada un mémoire sur l’ACÉUM. Elle y plaide pour le maintien intégral de l’exemption culturelle qui permet au pays de subventionner et réguler ses industries culturelles. Sans cette clause, le Canada risquerait de voir ses politiques de soutien remises en cause par des mesures de représailles commerciales.
Le texte rappelle que la Convention de l’UNESCO sur la protection de la diversité culturelle reconnaît la culture comme « porteuse d’identités, de valeurs et de sens ». Cette reconnaissance fonde le droit des États à protéger leurs créateurs, même dans un contexte de concurrence mondiale accrue.
Le ministre canadien de la Culture Steven Guilbeault réaffirmait : « la culture ne sera pas sur la table » lors des renégociations commerciales. Une déclaration que l’ANEL salue, tout en avertissant que la clause de représailles reste un angle mort juridique.
Le droit d’auteur au cœur du débat
L’association insiste sur la dérive de l’exception d’« utilisation équitable » introduite dans la Loi sur le droit d’auteur en 2012, interprétée trop largement par plusieurs établissements d’enseignement hors Québec. Cette pratique aurait entraîné des pertes de plus de 200 millions $ pour les ayants droit canadiens. L’ANEL presse le gouvernement de clarifier la loi afin de garantir une rémunération juste aux auteurs et de restaurer la confiance dans les échanges transfrontaliers.
Une vigilance internationale partagée
À l’échelle mondiale, les préoccupations de l’ANEL résonnent. La Rapporteuse spéciale de l’ONU pour les droits culturels, Alexandra Xanthaki, recommandait en 2025 que les États « réaffirment la valeur de la créativité humaine » et imposent aux entreprises d’IA des obligations de transparence et de diligence.
Au croisement du numérique et du commerce, l’ANEL formule une vision de long terme : bâtir un cadre éthique et juridique qui protège la création sans freiner l’innovation. Elle appelle le Canada à se doter d’une réglementation de l’IA fondée sur la transparence, le respect de la règle de droit et la reconnaissance du travail humain.
Préserver l’humain dans la création
Si le secteur du livre incarne depuis toujours un équilibre entre commerce et culture, il se trouve désormais à l’épicentre d’une révolution technologique. L’ANEL rappelle que la créativité, parce qu’elle exige lenteur, réflexion et partage, reste l’antidote à la standardisation algorithmique. La protection de la culture, conclut-elle, ne relève pas d’un réflexe corporatiste mais d’un enjeu démocratique : celui de la liberté de créer et de penser.



