Un changement statutaire nécessitant une procédure lourde
Avant même d’en venir aux arbitrages politiques, un point mérite d’être posé : la création d’un article 73-1 relève pleinement d’un changement statutaire, au même titre qu’une évolution vers l’article 74. Il ne s’agit pas d’un simple ajustement technique, mais d’une modification du statut constitutionnel du territoire. Un tel changement suppose une procédure exigeante, commune à toutes les révisions statutaires ultramarines : réunion du Congrès des élus et vote à la majorité qualifiée ; élaboration d’un projet de statut ; examen par le Parlement ; adoption d’une loi organique ; et, le cas échéant, consultation de la population. Autrement dit, le 73-1, même s’il reste dans le titre XII de la Constitution, mobilise les mêmes exigences démocratiques et juridiques qu’un statut d’autonomie.
Deux notions souvent confondues : régime législatif et changement statutaire
Alors que la Martinique cherche depuis plusieurs années un modèle institutionnel plus efficace et mieux adapté à ses réalités, deux notions reviennent au centre du débat : le changement de régime législatif et le changement statutaire. Souvent confondus, ces deux leviers n’agissent ni au même niveau ni avec les mêmes conséquences. La proposition d’un article 73-1, évoquée lors du Congrès, se situe précisément à l’articulation entre ces deux dynamiques.
Le régime de l’identité législative et l’option de la spécialité
Aujourd’hui, la Martinique relève de l’identité législative prévue par l’article 73 : les lois nationales s’y appliquent automatiquement, avec une capacité d’adaptation limitée. Passer à la spécialité législative inverserait ce principe : les lois de la République n’y seraient applicables que si le législateur en décide. La collectivité pourrait alors adopter des règles locales dans des domaines tels que l’urbanisme, l’environnement, la transition énergétique ou le développement économique. Un changement significatif, mais qui ne modifie pas le statut constitutionnel du territoire.
Le changement statutaire : une transformation plus profonde
Le changement statutaire, lui, vise un niveau plus profond : il transforme l’architecture institutionnelle du territoire et la répartition des compétences entre l’État et la collectivité. Il peut aller d’un statut renforcé au sein de l’article 73 à un passage à l’article 74, qui confère un haut degré d’autonomie comparable à celui de la Polynésie française.
L’ambition d’un article 73-1
La piste d’un article 73-1 cherche précisément à ouvrir un espace nouveau : un régime intermédiaire permettant à la Martinique d’exercer un pouvoir d’adaptation élargi — voire certaines compétences normatives — sans sortir du cadre constitutionnel de l’article 73. Mais contrairement à ce que certains croient, le 73-1 n’est pas un simple ajustement interne : c’est une révision du statut, qui requiert une loi organique et un processus institutionnel complet. Les élus le savent : cette voie implique un degré de consensus élevé et un calendrier politique maîtrisé.
Une dynamique nationale qui rebat les cartes
Mais cette projection martiniquaise se déroule alors qu’une dynamique parallèle s’installe dans l’Hexagone. Les présidents des 13 grandes régions métropolitaines réclament eux aussi davantage de compétences, un pouvoir réglementaire renforcé et une plus grande autonomie d’action. Les domaines concernés — formation, transports, énergie, développement économique, aménagement — recoupent en partie les revendications exprimées outre-mer. Le gouvernement, confronté aux limites du modèle centralisé, semble prêt à ouvrir un nouveau cycle de décentralisation.
Le 73-1 est-il toujours pertinent ?
Cette évolution nationale soulève une question : si les régions de l’Hexagone gagnent en autonomie, le 73-1 reste-t-il toujours pertinent pour la Martinique ?
1. Le 73-1 reste pertinent, parce qu’il offrirait à la Martinique des outils que les régions métropolitaines ne demandent pas : capacité normative locale, adaptation élargie des lois, articulation caribéenne spécifique.
2. Le 73-1 perd une partie de sa singularité si les régions obtiennent un pouvoir réglementaire renforcé.
3. Le 73-1 devient stratégique pour éviter un recul relatif : si les régions progressent et que la Martinique reste dans le 73 actuel, elle pourrait se retrouver moins autonome que des collectivités hexagonales.
Une réforme qui doit s’inscrire dans un mouvement national
Dans tous les cas, la question martiniquaise ne peut plus être isolée du mouvement national. Le 73-1 reste d’actualité, mais il doit désormais être pensé dans une cohérence globale de décentralisation. Pour la Martinique, l’objectif demeure inchangé : mettre en place un cadre institutionnel permettant plus d’efficacité, plus de clarté, plus de responsabilité, et mieux adapté aux réalités caribéennes du territoire.



