Une crise annoncée : l’eau comme révélateur d’un naufrage institutionnel
La Guadeloupe et la Martinique vivent aujourd’hui un moment de vérité que beaucoup avaient vu venir… mais que peu ont voulu regarder en face. L’exemple de la gestion de l’eau et des déchets — ce feuilleton où chaque épisode est plus affligeant que le précédent — en est la preuve éclatante : quand on laisse filer les responsabilités, les tuyaux du financement finissent par filer eux aussi.
L’un des signaux les plus préoccupants pour l’avenir institutionnel et économique de la Guadeloupe et de la Martinique réside dans l’incapacité chronique de leurs élus à anticiper les crises structurelles, notamment dans la gestion des services publics essentiels. L’exemple emblématique demeure celui de la gestion de l’eau. Alors quid de l’urgente nécessité d’une bonne gestion des élus des collectivités locales pour ne pas reproduire un schéma semblable de la faillite du SMGEAG, gestionnaire de l’eau en Guadeloupe.
La faillite du SMGEAG : un avertissement majeur
Les territoires de Guadeloupe et de Martinique font aujourd’hui face à une menace dont la gravité n’a pas été suffisamment anticipée par leurs responsables politiques : celle d’un effondrement progressif de leurs finances publiques locales, déjà fragilisées par des années de gestion approximative, de dépenses peu maîtrisées et d’un manque criant de vision prospective stratégique.
Le drame silencieux de la gestion de l’eau en Guadeloupe en constitue l’illustration la plus frappante. Alors que près de 60 % des eaux distribuées continuent de se perdre dans un réseau vétuste, le SMGEAG se retrouve au bord de la cessation de paiement, accablé par un déficit abyssal de près de 100 millions d’euros, ainsi que des factures impayées avoisinant les 50 millions d’euros.
Cette quasi-faillite d’origine collective n’est pas le fruit du hasard, mais bien la conséquence directe d’années d’errances managériales, d’absence de planification, de responsabilité diluée et de décisions politiques remises toujours au lendemain. Les élus n’ont pas su anticiper l’inéluctable.
Car ce qui s’est produit pour l’eau — corruption de dirigeants dans le passé, désinvestissement, incohérences politiques, confusion institutionnelle et retards accumulés — menace désormais de se reproduire à l’échelle des finances publiques locales.
Finances locales : un risque de bascule systémique
La conjoncture nationale accentue encore la fragilité des territoires ultramarins : les coupes budgétaires de l’État, la réduction progressive des exonérations, la contraction des recettes fiscales et la montée des déficits conduisent mécaniquement à un modèle voué à la rupture si les collectivités n’engagent pas un changement radical. La crise du SMGEAG n’est pas un accident : elle est un avertissement.
Elle montre ce qu’il en coûte de ne pas anticiper, de ne pas réformer, de ne pas moderniser. Elle révèle que l’inaction n’est pas neutre : elle se paye en pénuries d’eau, en infrastructures délabrées, en baisse de qualité de service et, surtout, en perte de confiance des citoyens.
Si cette même logique de laisser-faire perdure dans la gestion générale des collectivités, alors la Guadeloupe et la Martinique se dirigeront fatalement vers une crise plus profonde, comparable à celle des départements de métropole en quasi-faillite.
Un modèle économique à bout de souffle
La Guadeloupe et la Martinique abordent aujourd’hui un tournant historique où se conjuguent un modèle économique épuisé, une mutation profonde du travail et un désengagement progressif de l’État.
Leur économie, fondée sur la consommation plutôt que sur la production, s’est appuyée sur une solidarité nationale indispensable mais devenue le terreau d’une dépendance structurelle. Le travail s’est dévalorisé, transformé en simple variable d’ajustement dans un modèle où la précarité côtoie les conforts relatifs des statuts publics.
En Guadeloupe comme en Martinique, près de 38 % des emplois salariés relèvent de la fonction publique, contre 23 % en Hexagone. Le secteur privé, structurellement faible, ne parvient pas à créer suffisamment d’emplois productifs. Cette dépendance n’est plus tenable alors que l’État réduit progressivement son soutien financier.
L’avertissement venu de l’Hexagone : 54 départements en quasi-faillite
Dans l’Hexagone, cinquante-quatre départements sont désormais en situation de quasi-faillite, incapables d’équilibrer leurs budgets face à l’explosion des dépenses sociales et à l’effondrement des recettes immobilières.
Si des départements mieux dotés et moins dépendants de l’État sont en difficulté, qu’en serait-il des Outre-mer, dont l’équilibre repose presque entièrement sur les transferts nationaux ?
Gérer autrement : une nécessité vitale
La bonne gestion des collectivités locales n’est plus un impératif administratif : elle devient une question de survie économique et sociale.
L’enjeu n’est plus d’attendre que Paris compense, mais de rationaliser les dépenses, moderniser l’action publique, investir dans la création de valeur et anticiper les crises plutôt que les subir.
Une moindre contraction budgétaire peut désormais déclencher une onde de choc sociale dans des territoires où le coût de la vie dépasse de 30 % celui de l’Hexagone et où les entreprises peinent à absorber les chocs.
Réinventer la relation à l’État
L’avenir de la Guadeloupe et de la Martinique dépendra de leur capacité à se réinventer sans rompre avec l’État. L’autonomie ne saurait être un slogan : elle doit devenir un projet économique fondé sur la responsabilisation, l’adaptation normative et l’efficacité de la dépense.
Conclusion
L’heure est venue de rompre avec les pratiques du passé. La crise de l’eau n’est pas seulement un scandale technique ou politique : elle est le miroir du futur. Sans rupture nette dans les méthodes de gouvernance, les collectivités locales risquent de reproduire mécaniquement les mêmes erreurs, avec les mêmes conséquences dramatiques.



