Ce jeudi 20 novembre, le maire de Bellefontaine, Félix Ismain, comparaît en appel pour des faits de détournement de fonds publics au profit de sa campagne électorale de 2020. Si la condamnation en première instance a déjà souligné les manquements, c’est le rôle trouble de sa propre majorité municipale, menée par son premier adjoint, qui pourrait faire de ce procès un symbole des dérives et des complicités qui minent la confiance dans la vie politique locale.
Alors que la Martinique a récemment vu plusieurs maires condamnés pour des affaires de probité, le procès en appel de celui de Bellefontaine ce jeudi 20 novembre présente une singularité dérangeante : celui qui est chargé de défendre les intérêts de la commune est accusé d’avoir été le complice de celui qui l’a mise à mal.
Un scandale classique : des subventions détournées pour une campagne
L’affaire remonte à 2019. Pour financer sa campagne des municipales de 2020, Félix Ismain, maire de Bellefontaine, est reconnu coupable d’avoir utilisé l’argent public de manière détournée. Le scénario est connu : deux associations, “Belle Fontaine Nou la” et “Bellimix”, ont reçu chacune une subvention de 15 000 euros, votée et mandatée par la majorité municipale. Selon l’enquête de gendarmerie, cet argent n’a pas servi aux associations, mais a été injecté dans la campagne du maire sortant. Une manœuvre qui a valu à Félix Ismain, en juillet 2023, une condamnation à deux ans d’inéligibilité, 10 000 euros d’amende et l’obligation de rembourser 30 000 euros à la commune.
Le cœur du malaise : quand le premier adjoint est juge et partie.
Mais au-delà du délit initial, c’est le traitement judiciaire de l’affaire qui interpelle. En décembre 2022, le conseil municipal, informé par le procureur des agissements de son maire, a dû se constituer partie civile pour défendre les intérêts de la commune. Logiquement, c’est le premier adjoint, Hugo Avinin, président de la commission des finances, qui a été désigné pour ce rôle.
Or, c’est ce même Hugo Avinin qui, selon le jugement, avait présidé la commission des finances et mandaté les subventions illégales en 2019. Le paradoxe est saisissant : l’homme qui a validé les faits reprochés est celui qui est chargé de défendre la victime, la commune, contre leur auteur présumé.
Une défense à minima qui pose question
La suite est tout aussi troublante. Alors que l’enquête et les documents découverts évaluent le préjudice subi par la commune à près de 300 000 euros (comprenant des achats de véhicules, des réparations abusives et d’autres avantages), la défense menée par le premier adjoint n’a demandé à la justice que 30 000 euros de réparation, soit seulement 10% du montant estimé. Le tribunal a suivi cette requête, laissant la commune lésée.
Cette stratégie minimaliste, couplée au fait que le conseil municipal a, le même jour, voté 23 000 euros pour la défense personnelle du maire Félix Ismain contre seulement 5 000 euros pour celle de la commune, dessine le portrait d’une majorité municipale plus soucieuse de protéger son chef que les deniers publics.
Bellefontaine, un symbole parmi d’autres ?
Ce procès en appel est donc bien plus qu’une simple confirmation de peine. Il est l’occasion de mettre en lumière les mécanismes d’un système où les frontières entre l’intérêt général, l’intérêt du parti et l’intérêt personnel semblent s’effacer. Comment un élu, lui-même impliqué dans les faits, peut-il impartialement représenter la collectivité lésée ? La défense de la commune a-t-elle été sacrifiée sur l’autel de la loyauté politique ?
Alors que les affaires de Saint-Joseph, Fort-de-France ou du SMTVD défrayent également la chronique judiciaire, le cas de Bellefontaine nous rappelle que la question de la probité ne se limite pas toujours à un seul individu. Elle interroge aussi les silences et les complicités qui, en coulisses, permettent à ces dérives de prospérer. Le délibéré de la cour d’appel, attendu avec attention, dira si la justice décide de regarder cette réalité en face.
Jeff Lafontaine



