Devant l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), à l’occasion du World Food Forum, devant les délégués de la Food and Agriculture Organization of the United Nations (FAO), Laurent Cypria, président du Martinique Ambassador Club, a pris la parole pour défendre une vision simple et forte : celle d’une Martinique riche par sa terre, ses cultures, ses plantes et son histoire. Loin d’un discours technique, il a choisi de parler avec des images du quotidien, des souvenirs d’enfance et des aliments longtemps oubliés, pour montrer que la biodiversité caribéenne est une réponse concrète aux défis d’aujourd’hui : santé, résilience face au climat, transmission culturelle et dignité des peuples.
Discours intégral de Laurent Cypria
“Distingués délégués, chers collègues, gardiens de la terre, et un salut particulier à mon ami le ministre Green : je me tiens devant vous avec une grande gratitude, comme la sève de la canne à sucre après la récolte.
Je remercie le World Food Forum de nous rassembler autour de ce dialogue.
Je remercie aussi la Civics Foundation et l’ambassade du Cap-Vert, qui m’ont permis de venir partager une vision pour la Martinique.
Aujourd’hui, je ne vous invite pas à une leçon, mais à un voyage. Pas un voyage de graphiques et de chiffres, mais un voyage par le goût, par les sens, par les saveurs de mon pays, la Martinique.
Dans ces saveurs, il n’y a pas que des souvenirs. Il y a aussi ce dont notre avenir a besoin : la santé, la force, la dignité.
Imaginez une simple table, non pas dans un palais, mais sous des arbres flamboyants. Sur cette table, des fruits et des racines que l’Europe appelait autrefois « exotiques », mais qu’elle a ensuite rejetés, jugés trop simples, trop fragiles, ou pas assez rentables.
Pourtant, ces aliments reviennent aujourd’hui comme des réponses. Le fruit à pain, autrefois méprisé, nourrissait les corps fatigués. Aujourd’hui, la science montre qu’il est riche en fibres et capable de pousser malgré le changement climatique.
Une racine longtemps considérée comme une nourriture de pauvres est désormais transformée en plats sans gluten, pour nourrir des enfants allergiques et redonner de la valeur à nos traditions.
La bière de prune de cythère, remise au goût du jour par des artisans, montre que la fermentation peut être un pont entre le passé et l’avenir.
Le corossol, avec sa peau piquante et sa chair douce, était un fruit de mon enfance. Nous ne savions pas alors que ses feuilles seraient un jour étudiées pour leur potentiel médical.
Les marchés occidentaux ont longtemps ignoré ces fruits, préférant des pommes et des poires uniformes.
La christophine, que d’autres appellent chayote, paraît fragile, presque effacée. Pourtant, elle absorbe les épices et révèle les saveurs. Pour moi, elle ressemble au peuple caribéen : discret, solide, capable de faire face aux tempêtes, sans arrogance.
Le cacao martiniquais n’est pas celui des grandes usines. C’est un cacao rare, que nos ancêtres buvaient épais, avec de la cannelle et de l’arachide. Aujourd’hui, alors que le monde cherche des goûts vrais et une alimentation plus saine, notre cacao revient au premier plan.
Tous ces aliments sont plus que de la nourriture. Ce sont des morceaux d’histoire, des traces de résistance, des preuves que nos peuples savent s’adapter.
La Martinique est un territoire riche en biodiversité. Ses sols volcaniques, façonnés par le feu et la pluie, font pousser bien plus que de la canne ou de la banane : curcuma, gingembre, manioc, plantes anciennes.
La Caraïbe n’a pas à offrir la quantité, mais la qualité, avec une histoire et une âme.
Nous ne sommes pas ici pour vendre des rêves en plastique. Nous sommes ici pour rappeler que les choses que l’on a méprisées hier peuvent devenir des solutions pour demain.
Je me souviens de mon enfance, des matchs de football sur le sable blanc, des mangues vertes mangées avec du sel et de l’ail, ce que nous appelons “Susque”.
Aujourd’hui, les plages reculent, la mer monte, et les cultures uniques menacent nos terres.
Défendre la diversité de nos aliments, c’est défendre notre identité. Chaque pain cuit dans un four d’argile, chaque cacao servi dans une calebasse, est un acte de résistance.
En Martinique, nous disons : “Banann mi an pakajon pa ka viré vèt”. Une banane mûre ne redevient jamais verte.
Je crois que le temps est venu pour nos aliments longtemps oubliés.
Le temps du fruit à pain, du corossol, du manioc, du cacao, de la christophine, du curcuma, de la mangue.
Le temps où la nourriture n’est pas seulement un produit, mais un lien entre les peuples.
Dressons ensemble la table de cet avenir. Une table large comme l’océan, riche comme la forêt, et ouverte à tous.
