Face au désengagement progressif de l’État, les territoires ultramarins se trouvent à un moment charnière. La logique budgétaire qui guide désormais les décisions publiques, qu’il s’agisse de continuité territoriale, de fiscalité aérienne ou d’application des normes environnementales européennes, impose une réévaluation profonde des stratégies ultramarines.
Car ce qui se joue n’est plus seulement une question de budgets, mais une redéfinition du pacte républicain avec des régions éloignées, structurellement fragilisées, et clamées jusque-là comme “le cœur vivant de la France” au-delà des océans.
Dans ce contexte, une première riposte s’impose, c’est amplifier le travail commencé par Serge Letchimy avec l’appel de Fort-de-France : l’union. Les territoires ultramarins ne peuvent plus avancer en ordre dispersé. Créer une instance commune — un Conseil de convergence des RUP françaises — permettrait de rassembler analyses, revendications et stratégie, et de peser davantage dans le rapport de force avec Paris. L’exemple corse, où la cohésion politique a permis d’arracher des financements massifs, montre qu’une parole unifiée modifie profondément l’équation.
Mais l’essentiel du combat se joue aussi à Bruxelles. L’article 349 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne offre des marges de manœuvre considérables pour adapter les normes à la réalité des régions ultrapériphériques. Obtenir des dérogations ciblées au système ETS pour le maritime et l’aérien, défendre une fiscalité carbone aménagée ou créer un fonds européen de continuité territoriale ne sont pas des demandes impossibles : ce sont des leviers juridiques déjà reconnus par l’Union. Encore faut-il que les territoires les activent de manière offensive, collective, structurée.
Le retrait de l’État doit également encourager une reprise en main locale de la continuité territoriale. Rien n’empêche les régions ou collectivités de négocier directement avec les compagnies aériennes, de subventionner des liaisons essentielles ou de créer une agence régionale dédiée, sur le modèle de ce que la Corse expérimente depuis plusieurs années. Si l’État se retire partiellement, il devient impératif d’occuper l’espace laissé vacant, afin d’éviter que l’insularité ne se transforme en isolement et abandon.
Pour être efficace, cette stratégie doit s’accompagner d’un travail de pédagogie publique. Le différentiel de traitement entre Corse et outre-mer doit être documenté, chiffré, expliqué. Le débat national ne changera que si l’opinion comprend que l’éloignement géographique n’est pas un choix, mais un handicap structurel nécessitant une solidarité d’État. Les élus ultramarins doivent donc produire études, comparaisons, scénarios d’impact, afin d’éclairer le débat et d’éviter que la question ne reste cantonnée à des plaintes locales.
La dernière dimension est institutionnelle. Sans remettre en cause l’unité nationale, les territoires doivent explorer des modèles plus adaptés, en faisant fi des cris d’orfraie des apeurés, tenants de l’immobilisme: autonomie fonctionnelle, statut renforcé au sein des RUP, nouveaux accords de gouvernance, voire pacte territorial spécifique, article 73 de la Constitution amélioré. . Ces pistes ne sont pas synonymes de rupture, mais de maturité politique. Elles montrent que les outre-mer refusent de rester spectateurs d’un recentrage de l’État qui va s’accentuer dans les prochaines années.
Au fond, la question est simple : les outre-mer doivent-ils subir la transition doctrinale de l’État, ou la réorienter ? La réponse dépendra de leur capacité à s’unir, à internationaliser leur combat, à professionnaliser leur argumentation et à assumer une part croissante de responsabilité stratégique. C’est à ce prix que la solidarité nationale, aujourd’hui fragilisée, pourra être repensée plutôt que réduite.
Gérard Dorwling-Carter



