« Ce livre n’a pas été écrit pour raconter le Covid, mais pour que l’on n’oublie jamais ce que les soignants ont vécu quand tout vacillait autour d’eux. »
Un ouvrage collectif, porté par les soignants eux-mêmes, pour garder trace de la crise sanitaire et rendre hommage à celles et ceux qui ont tenu la ligne…
Cinq ans après la crise sanitaire liée au Covid-19, un livre vient poser des mots, des visages et des récits sur une période qui a profondément marqué la Martinique. Milan de soignants, paru aux éditions LEH, est un ouvrage collectif coordonné par l’Espace de Réflexion Éthique Régional de la Martinique (ERERM). Il rassemble des témoignages de professionnels de santé ayant été en première ligne durant la pandémie. Loin des analyses à distance, ce livre donne la parole à celles et ceux qui ont soigné, accompagné, tenu, parfois vacillé, mais jamais renoncé.
Un projet né d’un besoin de mémoire
À l’origine de ce projet, une volonté simple mais essentielle : ne pas laisser disparaître ce que les soignants ont vécu. Le docteur Ruddy Valentino, à l’initiative de l’ouvrage avec Agathe Chaplain et Corinne Michel, explique que l’objectif était de conserver une trace de cette période éprouvante, tant sur le plan professionnel qu’humain. La crise sanitaire de 2020 a été un choc collectif, mais elle a aussi été, pour les soignants martiniquais, une épreuve d’une rare intensité, vécue dans un contexte de forte tension sociale, de défiance et parfois d’hostilité.
Le livre rassemble une soixantaine de récits issus de témoignages recueillis auprès de différents corps de métier : infirmiers, aides-soignants, médecins, brancardiers, agents hospitaliers, personnels d’EHPAD, soignants libéraux, secrétaires médicales. Cinquante-deux professionnels ont accepté de livrer une part de leur vécu, souvent au prix d’un retour douloureux sur des souvenirs encore vifs.
Un ouvrage coordonné collectivement, édité avec exigence
L’édition de Milan de soignants a été assurée par Sébastien Clément, des éditions LEH. Son rôle a consisté à accompagner l’équipe de coordination dans la structuration du projet, le choix des textes, la cohérence éditoriale et la mise en forme finale. Le résultat est un ouvrage de 120 pages, imprimé sur un papier de qualité, enrichi d’illustrations originales de François Gabourg. L’éditeur souligne l’importance de ce travail collectif, rendu possible par une coordination claire et une volonté partagée d’aboutir, malgré la complexité inhérente à un projet à plusieurs voix.
Présent lors de la remise officielle du livre au CHU de Martinique, Sébastien Clément insiste sur la dimension humaine de ce moment : voir les soignants tenir l’ouvrage entre leurs mains, observer leurs réactions, mesurer ce que cette reconnaissance représente pour eux.
Des récits incarnés, illustrés avec sensibilité
L’un des choix forts de Milan de soignants réside dans son traitement artistique. Les textes sont accompagnés d’illustrations réalisées par François Gabourg, auteur-dessinateur. Son travail ne cherche ni la caricature ni le spectaculaire. Il s’inscrit dans une approche sensible, respectueuse des récits confiés. Pour illustrer ces témoignages, il a d’abord fallu les lire, les comprendre, les ressentir. Certaines histoires ont été, selon ses mots, de véritables chocs émotionnels.
Les illustrations accompagnent les récits sans les trahir. Elles donnent chair aux émotions, aux silences, aux tensions vécues par les soignants, tout en laissant au lecteur l’espace nécessaire pour se projeter et comprendre.
Une parole venue « d’en bas »
Lors de la présentation officielle de l’ouvrage, le docteur Valentino a tenu à souligner le caractère inédit de ce livre. Milan de soignants n’est ni un rapport institutionnel ni une analyse descendante de la crise. Il s’agit d’une parole venue du terrain, des services, des chambres de patients, des équipes confrontées à l’urgence, à la fatigue, à la peur et à la mort.
Ces récits racontent les nuits sans sommeil, la surcharge des services, la jeunesse parfois des patients emportés par la maladie, mais aussi la solidarité, l’engagement et la capacité à tenir malgré tout. Le livre n’élude pas la souffrance, mais il laisse aussi place à des moments de respiration, à des anecdotes parfois souriantes, témoignant de l’humanité qui subsiste même dans les contextes les plus graves.
Un hommage aux soignants, mais aussi un message à la société
Pour plusieurs intervenants, ce livre dépasse l’hommage. Claudine Vernant-Neisson, médecin, rappelle combien les soignants ont été durement éprouvés, non seulement par la charge de travail, mais aussi par les agressions verbales, la défiance et la violence symbolique qui ont accompagné la crise sanitaire en Martinique. Elle exprime l’espoir que la lecture de cet ouvrage permette une prise de recul, une réflexion collective et une reconnaissance plus juste de ce qui a été traversé.
L’ouvrage sera d’ailleurs largement diffusé : un exemplaire est destiné à chaque professionnel du CHU de Martinique, aux personnels des EHPAD, aux infirmiers libéraux et aux cliniques. Une manière concrète de dire merci, mais aussi de rappeler que cette crise a bien existé, qu’elle a laissé des traces, et qu’elle ne peut être simplement effacée de la mémoire collective.
Un outil de réflexion éthique pour l’avenir
Enfin, Milan de soignants s’inscrit pleinement dans la mission de l’Espace de Réflexion Éthique Régional. Au-delà du témoignage, le livre interroge la relation entre la population et le système de santé, la confiance envers la science médicale, et la place de l’éthique dans les décisions sanitaires. Dans un contexte où les indicateurs de santé en Outre-mer restent préoccupants, l’ouvrage se veut aussi un point d’appui pour une réflexion plus large sur la santé comme bien commun.
Le docteur Valentino évoque l’espoir que ce livre contribue à ouvrir des espaces de dialogue, de compréhension et, à terme, d’action collective. Une manière de transformer une épreuve en socle de réflexion, pour mieux préparer l’avenir sans nier ce qui a été vécu.
3 questions à Régine Boniface Caumartin, infirmière en réanimation
Présente en première ligne durant la crise sanitaire, Régine Boniface Caumartin a participé à l’ouvrage Milan de soignants, un recueil de témoignages porté par des professionnels de santé martiniquais. Elle revient sur cette période, sur le sens de ce livre et sur ce qu’il représente aujourd’hui.
Vous avez travaillé en réanimation Covid pendant toute la crise. Quel souvenir vous reste de cette période ?
J’ai été en première ligne avec mes collègues en réanimation Covid. Nous soignions des patients dans un contexte totalement inédit, très lourd émotionnellement. On a vu arriver la crise à la télévision, puis elle s’est installée ici, en Martinique. Même si le système de santé était préparé sur le papier, on n’est jamais réellement prêt à ce type de situation, surtout quand elle dure aussi longtemps et qu’elle touche autant de monde.
Comment est né le projet Milan de soignants et que représente-t-il pour vous ?
L’idée était de recueillir des témoignages de tous les corps de métier qui ont soigné pendant le Covid : infirmiers, aides-soignants, ASH, brancardiers, médecins, personnels d’EHPAD, de cliniques, du CHU. Des petites anecdotes ont été collectées puis mises en forme par une équipe. Nous étions peu nombreux en moyens, mais avec beaucoup de bonne volonté. Au final, 52 soignants ont témoigné. Pour moi, ce livre est une manière de remercier tous ceux qui ont œuvré pendant cette période et de garder une trace de ce que nous avons vécu.
Cinq ans après, quel message souhaitez-vous transmettre à la population martiniquaise ?
Il ne faut pas oublier. On a parfois l’impression que le Covid n’a jamais existé, tant l’actualité a pris le dessus. Pourtant, cette crise a bien eu lieu et elle a été très dure. Aujourd’hui, nous sommes sans doute plus préparés face à une éventuelle nouvelle épidémie, parce que nous avons traversé toutes les vagues. Mais la mémoire reste essentielle, pour comprendre ce qui s’est passé et pour ne pas revivre les mêmes erreurs.
Philippe PIED et Roland Dorival
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