Entretien avec Bruno Cavagné, coprésident de la SMABTP
En visite en Martinique, Bruno Cavagné, coprésident de la SMABTP, a présenté le nouveau plan stratégique du groupe et inauguré les nouveaux bureaux désormais gérés en direct. Au-delà de cette annonce, une longue réunion d’échanges techniques s’est tenue avec les acteurs du BTP martiniquais. Elle a permis d’aborder des sujets majeurs : assurance des chantiers, impact du climat, effets des crises sociales, difficultés d’assurer certaines filières (photovoltaïque, amiante), avenir des normes tropicales et utilisation des matériaux régionaux. L’entretien s’est déroulé dans les locaux de la FRBTP Martinique, à la Maison du BTP, en présence de plusieurs professionnels du secteur, venus échanger directement avec la SMABTP sur les enjeux et difficultés rencontrés par les entreprises martiniquaises. Rencontre…
Magazine Bâtisseurs : Pourquoi avoir décidé de reprendre en direct la gestion des bureaux en Martinique ?
Bruno Cavagné : Depuis plus de vingt-cinq ans, nous étions présents dans les Outre-mer à travers un partenariat. Aujourd’hui, nous avons choisi de gérer nous-mêmes les bureaux, les contrats, les sinistres et la relation avec nos assurés.
Nous avons intégré les équipes qui travaillaient pour nos adhérents, ouvert de nouveaux locaux et mis en place une organisation plus proche du terrain.
Notre objectif est simple : être plus réactifs, plus accessibles et plus utiles aux entreprises du BTP.
Le plan national présenté par M. Hervé Leblanc, votre directeur général adjoint, international et grands comptes, influence-t-il directement l’action prévue en Martinique ?
Oui, bien sûr. M. Leblanc a exposé les grandes orientations stratégiques du groupe pour les trois prochaines années. Notre travail est de les décliner ici, en tenant compte des besoins du territoire et des spécificités du BTP martiniquais. Le plan Martinique s’inscrit donc pleinement dans la dynamique nationale, mais avec une mise en œuvre adaptée aux réalités locales.

En quoi consiste ce plan et en quoi est-il important pour la Martinique ?
La SMABTP a connu une croissance très rapide : nous sommes passés d’environ 2,5 milliards à plus de 5 milliards de chiffre d’affaires, et nos effectifs ont doublé et atteignent désormais les 5000 salariés.
Un tel développement exige une organisation plus structurée, une vision claire et partagée pour les trois ans à venir.
Pour la Martinique, le plan stratégique signifie surtout une chose : une montée en puissance de notre présence locale.
Nous allons renforcer les équipes, moderniser les outils, et être davantage sur les chantiers et auprès des entreprises.
« Notre gouvernance est composée d’entrepreneurs du BTP. Quand un problème remonte, il est traité vite. Nous voulons que nos décisions soient proches de la réalité des chantiers. »
Plusieurs acteurs ont souligné les difficultés rencontrées depuis les crises sociales de 2024. Comment la SMABTP analyse cette situation ?
Ces crises ont provoqué des dommages très importants, en Martinique comme ailleurs. Certaines régions ont connu des pertes colossales.
De nombreux assureurs ont réagi en se retirant ou en supprimant des garanties, notamment la garantie émeute.
Nous avons fait un autre choix : nous restons, et nous maintenons cette garantie, car nous estimons qu’un assureur doit être présent quand les entreprises sont les plus fragiles.
Mais il faut être lucide : l’équilibre économique est difficile. Dans l’ensemble des DOM, nous avons payé jusqu’à sept fois plus de sinistres que ce que nous avons encaissé en primes.
Heureusement, la mutualisation nationale permet d’absorber ce choc.
Quels éléments expliquent votre volonté de rester alors que d’autres assureurs quittent ces marchés ?
Notre ADN, c’est le bâtiment et les travaux publics. La SMABTP est gouvernée par des entrepreneurs du BTP. Si nous quittions ces territoires, beaucoup d’autres acteurs auraient du mal à rester.
Nous avons un lien fort avec les entreprises, les salariés, les collectivités locales et l’État. Nous estimons qu’il y a un véritable rôle d’intérêt général à être à leurs côtés, surtout quand les temps sont difficiles.
C’est dans ces moments-là qu’un assureur doit être le plus présent. L’assurance paraît toujours trop chère tant qu’il n’y a pas de sinistre. Mais lorsque survient un problème et que l’assureur répond vite et efficacement, on comprend l’importance de cette présence.
Je peux en témoigner personnellement : je suis client de la SMABTP depuis très longtemps. J’ai toujours constaté que c’est une entreprise technique, solide, qui répond rapidement aux difficultés des entrepreneurs. Et quand on est en
Face au changement climatique, les entreprises locales s’inquiètent. Comment gérez-vous ce risque croissant ?
Les territoires ultramarins sont plus exposés aux tempêtes, aux pluies intenses et aux phénomènes extrêmes.
Nous devons donc analyser les risques avec encore plus de précision, adapter nos garanties, renforcer nos contrôles et accompagner les maîtres d’ouvrage dans leurs choix techniques.
Le climat n’est pas seulement un sujet environnemental : c’est un enjeu économique, assurantiel et de continuité d’activité.
Plusieurs professionnels ont évoqué la difficulté à obtenir une assurance pour le photovoltaïque, le solaire thermique ou l’amiante. Que leur répondez-vous ?
Ces filières sont essentielles et vont se développer fortement avec la transition énergétique.
Mais elles ont aussi une histoire complexe :
- le photovoltaïque a connu des incendies et une forte présence de matériels de mauvaise qualité,
- la filière amiante nécessite une formation exigeante et des protocoles très stricts,
- beaucoup de nouveaux entrants arrivent sur le marché après une reconversion.
Nous assurons ces activités, mais à condition que la formation, les certifications et les procédures soient solides.
La qualité du matériel est également déterminante : les produits doivent disposer d’avis techniques reconnus.
Plus les filières se professionnaliseront, plus l’accès à l’assurance sera simple.
« Ouvrir le marché aux matériaux régionaux est une bonne chose, mais jamais au détriment de la qualité ni de la sécurité ; c’est essentiel pour la confiance dans la construction. »
Un point a beaucoup retenu l’attention : l’accès aux matériaux régionaux grâce à l’exemption de marquage CE. Quelle est la position de la SMABTP ?
Nous sommes favorables à l’ouverture vers les matériaux du bassin caribéen ou latino-américain, mais pas au détriment de la qualité et de la sécurité.
On ne peut pas accepter qu’il y ait un “double standard” : des matériaux très contrôlés en métropole et des matériaux non vérifiés en Martinique.
L’objectif est d’ouvrir le marché, réduire les coûts, mais avec des contrôles sérieux, des normes adaptées au climat tropical et des référentiels clairs.
Nous travaillons depuis longtemps pour que les DOM puissent bénéficier de DTU adaptés, car les règles métropolitaines ne reflètent pas la réalité locale.

Les entreprises ont aussi évoqué les techniques innovantes, comme les traitements de sols ou les procédés expérimentaux. L’assurance suit-elle ces évolutions ?
Oui, mais avec méthode.
Chaque procédé nouveau doit être analysé :
- durée de vie,
- comportement dans le temps,
- risques structurels,
- retour d’expérience.
Notre rôle n’est pas de freiner l’innovation, au contraire. Mais l’assurance impose de garantir la solidité d’une technique pendant dix ans. Cela demande une étude rigoureuse.
Lorsque les filières s’organisent, nous pouvons proposer des solutions. L’essentiel est d’éviter les improvisations, car les conséquences peuvent être lourdes.
« Plus les filières se professionnalisent, plus l’assurance peut les soutenir : notre rôle est d’encourager cette montée en qualité, pas de bloquer l’innovation. »
Le réemploi et l’économie circulaire progressent rapidement. Est-ce assurable ?
Le réemploi est une très bonne démarche, mais il pose un défi :
réutiliser un élément signifie lui redonner une garantie décennale, ce qui nécessite de connaître précisément son état, sa performance et ses risques.
La filière se structure peu à peu : plateformes de tri, reconditionnement, certifications, traçabilité.
Plus elle sera organisée, plus l’assurance pourra accompagner son développement.
La question de la mutualisation a été directement posée : les DOM coûtent-ils plus cher qu’ils ne rapportent au groupe ?
Aujourd’hui, oui.
Mais notre philosophie n’est pas de faire un calcul isolé par territoire.
Nous sommes une mutuelle, sans actionnaires à rémunérer, et notre mission est de soutenir l’ensemble des entreprises du BTP, où qu’elles se trouvent.
Tant que l’équilibre global est possible, nous continuerons à accompagner les Outre-mer.
Le vrai danger serait la répétition de crises extrêmes qui fragiliseraient l’ensemble du système.

Pour conclure, quel message souhaitez-vous adresser aux entreprises martiniquaises du BTP ?
Notre message est clair : nous sommes là pour rester, et nous allons renforcer notre présence.
Nous comprenons les difficultés du secteur : hausse des coûts, normes inadaptées, changement climatique, manque de main-d’œuvre, complexité administrative, crises sociales.
C’est justement pour cela que nous voulons être plus proches.
La Martinique a besoin d’un assureur solide, engagé et capable d’accompagner l’innovation.
Nous voulons assumer ce rôle, en travaillant main dans main avec les entreprises et les organisations professionnelles.
Laurianne Nomel et Philippe Pied
Depuis 1995, Bruno Cavagné dirige Giesper, groupe familial de 300 collaborateurs basé à Toulouse et spécialisé dans les domaines des travaux publics, du bâtiment, de la promotion immobilière et de la gestion hôtelière. Très impliqué dans la vie professionnelle et syndicale depuis de nombreuses années, il a présidé la commission des marchés de la CCI de Haute-Garonne de 1997 à 2009 et a été élu, en 2008, président de la Fédération Régionale des Travaux Publics Midi-Pyrénées. Administrateur de Canalisateurs de France puis de la FNTP et du Syndicat de France, il est nommé, en 2012, vice-président puis, de 2013 à 2023, président de la FNTP. Bruno Cavagné est également vice-président du COI, Conseil d’Orientation des Infrastructures, et conseiller du CESE au titre de la vie économique et du dialogue social. Il est administrateur de SMAvie BTP et vice-président de la SGAM btp depuis 2015. En 2023 il devient le nouveau président de SMAvie BTP. Âgé de 65 ans, Bruno Cavagné est Chevalier dans l’Ordre national du Mérite, au titre du ministère de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire.



