À compter du 1er janvier 2026, le Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières (MACF) entrera dans sa phase financière définitive. Pensé par l’Union européenne pour lutter contre les fuites de carbone et rééquilibrer la concurrence industrielle, ce dispositif s’appliquera sans distinction aux régions ultrapériphériques. En Martinique, cette application uniforme soulève de vives inquiétudes. Réunis à l’initiative de l’Association Martiniquaise pour la Promotion de l’Industrie (AMPI), industriels, représentants du BTP, de l’agriculture et des organisations professionnelles ont détaillé, point par point, les impacts concrets attendus sur les coûts de production, l’emploi, le logement et le pouvoir d’achat.
Un mécanisme climatique aux conséquences économiques directes
Le MACF vise à taxer certains intrants importés hors Union européenne — clinker, acier, aluminium, engrais azotés, hydrogène — afin d’aligner leur coût carbone sur celui des productions européennes soumises à des normes environnementales strictes.
Le principe, reconnu comme légitime sur le plan climatique, pose toutefois un problème majeur pour la Martinique : l’absence d’alternatives locales ou européennes viables pour ces intrants essentiels.
Pour Charles Larcher, président de Association Martiniquaise pour la Promotion de l’Industrie, le MACF a été conçu sans étude d’impact spécifique pour les régions ultrapériphériques. Or ces territoires cumulent déjà des handicaps structurels reconnus par l’Europe : insularité, dépendance aux importations, coûts élevés du fret et de l’énergie, marchés de petite taille peu amortissables. L’ajout d’une taxe carbone à l’importation vient mécaniquement aggraver ces déséquilibres.
Le ciment : une hausse inévitable des coûts de construction

La filière ciment est en première ligne. En Martinique, il n’existe aucune production locale de clinker, matière première indispensable représentant environ 75 % de la composition du ciment. Chaque année, entre 120 000 et 150 000 tonnes sont importées pour assurer la continuité de la production locale.
Comme l’a expliqué Stéphane Abramovici et le directeur de Lafarge Martinique, ces importations proviennent majoritairement de bassins géographiques proches, ce qui répondait jusqu’ici à une logique économique et environnementale. À partir de 2026, le clinker importé sera soumis au MACF.
Les premières simulations disponibles indiquent :
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+11 % minimum sur le prix du ciment dès le début de l’année 2026,
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une hausse d’environ +7 % sur le béton prêt à l’emploi,
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et, au final, une augmentation globale du coût de la construction estimée entre +3 et +5 %.
Ces chiffres pourraient encore évoluer à la hausse, les méthodes de calcul du MACF n’étant pas totalement stabilisées.
Un secteur du BTP déjà fragilisé

Ces augmentations interviennent dans un contexte particulièrement tendu pour le BTP martiniquais. La production de ciment est déjà en recul de 15 % sur un an, et de près de 40 % sur vingt ans. Les professionnels alertent sur un risque clair : l’incapacité à absorber de nouvelles hausses de coûts sans conséquences directes sur l’activité, l’emploi et la viabilité des entreprises.
Les représentants de la CPME Martinique, de la Chambre des Métiers et des organisations du bâtiment ont insisté sur un point central : la commande publique, notamment le logement social, sera directement impactée. Les plans de financement sont arrêtés bien avant les chantiers, sur des bases incompatibles avec les hausses annoncées. Résultat possible : reports d’opérations, annulations de projets et ralentissement durable de la production de logements.
Les engrais : un choc pour l’agriculture locale
Le second secteur fortement concerné est l’agriculture. Gwenaëlle Cottin, directrice de la SCIC Martinique, a détaillé l’impact du MACF sur les engrais azotés, élément central du rendement agricole.
À partir du 1er janvier 2026, les matières premières azotées importées seront taxées, avec :
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une hausse estimée entre 15 et 20 % du prix des engrais,
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pouvant dépasser 30 % sur certaines matières premières, selon les scénarios.
Cette hausse se répercutera directement sur les coûts de production agricole, puis sur les prix de vente. Elle intervient dans un contexte déjà marqué par la lutte contre la vie chère et par l’objectif affiché d’autonomie alimentaire.
Là encore, une incohérence est soulignée : la SCIC s’approvisionne majoritairement dans le bassin caribéen, notamment à Trinidad, avec un bilan carbone logistique optimisé. Le MACF pourrait contraindre à des approvisionnements plus lointains, dégradant paradoxalement l’empreinte carbone globale.
Un risque économique, social et territorial
Au fil des prises de parole, un constat s’est imposé : le MACF, appliqué sans adaptation aux réalités ultramarines, risque de produire l’effet inverse de celui recherché.
Hausse des coûts de construction, fragilisation du logement social, augmentation des prix agricoles, menace sur l’industrie locale, recul de la souveraineté économique : les conséquences évoquées dépassent largement les seuls secteurs industriels.
L’ensemble des acteurs présents a appelé les pouvoirs publics — parlementaires, préfet, gouvernement, institutions européennes — à adapter le dispositif, en particulier par une exclusion des régions ultrapériphériques ou, à défaut, par des mécanismes correcteurs tenant compte de leurs contraintes structurelles.
Une échéance proche, des décisions encore possibles
Le calendrier est serré. Le MACF s’appliquera dès le 1er janvier 2026, alors même que de nombreuses incertitudes subsistent sur ses modalités de calcul et ses effets réels. Pour les acteurs économiques martiniquais, l’enjeu n’est pas de remettre en cause l’objectif climatique, mais d’éviter qu’une mesure mal calibrée ne devienne un facteur supplémentaire de fragilisation économique et sociale.



