« Ce que nous faisons ici, c’est de l’agriculture » – Entretien avec Mme Patricia Jean-Jacques
La mobilisation des éleveurs de Madivial* ne doit rien au hasard. Ce samedi 20 décembre 2025, la profession avait choisi d’organiser une conférence de presse à Ducos – Rivière la Manche – devant l’entrepôt qui assure le stockage et la livraison des aliments destinés aux exploitations agricoles. En toile de fond, une colère sourde : le refus de maintenir une installation pourtant construite après avoir obtenu deux autorisations successives. Le premier permis, tacite, avait été accordé avant d’être annulé à la suite du changement du Plan local d’urbanisme (PLU) de la commune. Un second permis avait ensuite été délivré en toute conformité par la commune de Ducos.
Malgré cela, l’ouvrage se retrouve aujourd’hui contesté, une situation vécue par les éleveurs comme une remise en cause directe de leur activité.
Sur place, nous avons interrogé Mme Patricia Jean-Jacques, éleveuse de volaille, pour comprendre son parcours, son engagement et ce que cette situation dit, selon elle, des difficultés rencontrées aujourd’hui par les éleveurs martiniquais. Entretien…

Pouvez-vous vous présenter et nous dire qui vous êtes ?
Je m’appelle Patricia Jean-Jacques. Je suis éleveuse de volaille. J’ai commencé toute seule, très modestement, sur une surface d’environ 400 mètres carrés. À l’époque, ce n’était pas grand-chose, mais c’était un vrai choix de vie. Aujourd’hui, chaque bâtiment permet d’accueillir jusqu’à 7 200 volailles. Rien ne s’est fait du jour au lendemain. Tout s’est construit avec du travail, de la patience, des investissements, et surtout une vraie conviction : produire localement, ici, en Martinique.
Pourquoi avoir tenu à prendre la parole lors de cette manifestation ?
Parce que nous voulons montrer qui nous sommes réellement. Nous sommes des agriculteurs martiniquais. Nous ne sommes pas là pour embêter qui que ce soit, ni pour contourner les règles. Ce que nous faisons est utile, concret, nécessaire. L’élevage, ce n’est pas quelque chose d’abstrait. C’est nourrir la population, créer de l’activité, maintenir une production locale. Aujourd’hui, on a parfois le sentiment que notre métier est mal compris, voire remis en cause.
Quel est le rôle de l’entrepôt devant lequel vous êtes réunis aujourd’hui ?
Cet entrepôt est central pour notre activité. Les grains et les aliments destinés aux volailles sont stockés ici. Ensuite, des camions assurent la livraison directement chez les éleveurs. Nous ne faisons pas n’importe quoi. Il y a des quantités précises, des volumes définis, une organisation rigoureuse. Rien n’est acheté au hasard. Sans cet outil logistique, il est tout simplement impossible de travailler correctement.
Sur quoi porte précisément le désaccord avec l’administration ?
On souhaite nous enlever notre outils de travail indispensable à notre activité. À l’origine, le terrain était une carrière. Par la suite, il est passé en zone agricole. On nous explique aujourd’hui que ce type de structure ne peut pas être implanté sur un terrain agricole. Mais ce que nous contestons, c’est cette lecture purement administrative, déconnectée de la réalité du terrain.

Pourquoi estimez-vous que ce bâtiment relève bien de l’activité agricole ?
Parce que ce silo s’inscrit dans la continuité directe des exploitations agricoles qu’il approvisionne. Madivial est une coopérative d’éleveurs : ce bâtiment n’est pas une structure indépendante ou industrielle, mais un outil collectif mis au service des exploitations. Il permet de stocker de l’aliment indispensable à l’élevage. Sans cet équipement, les exploitations ne peuvent pas fonctionner normalement. Il fait pleinement partie de la chaîne de production agricole. Pour nous, il n’y a aucune ambiguïté : ce bâtiment est un prolongement des fermes, et relève donc entièrement de l’activité agricole.
Avez-vous tenté de faire reconnaître cette réalité ?
Oui, à plusieurs reprises. Nous avons présenté de manière détaillée notre fonctionnement, l’organisation de la coopérative et le rôle précis de cet outil dans la chaîne de production agricole. Tout est connu des services concernés : les volumes, les procédures, les contrôles sanitaires et réglementaires sont en place. Malgré cela, nous avons le sentiment qu’il nous revient sans cesse de démontrer la légitimité de notre activité. Les échanges existent, mais ils sont longs et complexes, et pendant ce temps, les exploitations restent dans une situation d’incertitude qui fragilise durablement leur équilibre.
Vous évoquez aussi la question de l’alimentation des volailles. Pouvez-vous préciser ?
Nous avons fait le choix de travailler avec une alimentation sans OGM, par souci de qualité, de santé et de responsabilité. Ce type d’aliment n’est pas produit en Martinique : il est donc importé. Cela implique nécessairement de disposer de structures adaptées pour le recevoir, le stocker et l’acheminer vers les exploitations. En tant que coopérative d’éleveurs, ces outils logistiques sont indispensables au bon fonctionnement de la filière. Aujourd’hui, les difficultés rencontrées pour faire reconnaître et sécuriser ces équipements reviennent, de fait, à priver les éleveurs d’un outil pourtant essentiel à la poursuite de leur activité.
Quelles sont les conséquences concrètes de ces blocages pour les éleveurs ?
Cela crée de l’instabilité, de l’inquiétude et une vraie fragilité économique. On investit, on s’endette, on s’engage sur le long terme, et derrière, on a le sentiment que tout peut être remis en cause par une décision administrative. C’est décourageant. Pourtant, on continue, parce que nous croyons à notre métier et à son utilité.
Quel message souhaitez-vous faire passer à travers cette mobilisation ?
Nous demandons simplement qu’on reconnaisse notre travail et notre statut d’agriculteurs, d’éleveurs. Les décisions doivent se faire avec nous, pas contre nous. L’agriculture et l’élevage martiniquais ont besoin de cohérence, de dialogue et de compréhension des réalités du terrain. Ce que nous faisons va dans le sens du bien commun, de la production locale et de l’autonomie alimentaire. Il est temps que cela soit pleinement reconnu.
Propos recueillis par Philippe PIED
Madivial en chiffre
- Une centaine d’éleveurs
- 160 salariés
- ÇA :22million d’euros
- Production : 2000tonnes de viande
- Tonnage aliment :6000 tonnes




