Alors que la biodiversité mondiale s’effondre à un rythme inédit, une expédition scientifique menée en Guadeloupe rappelle une vérité dérangeante : les territoires ultramarins concentrent l’essentiel de la richesse écologique française, tout en restant massivement sous‑documentés et sous‑protégés. Selon une enquête publiée par Reporterre, près d’une centaine de nouvelles espèces, principalement des arthropodes — scorpions et coléoptères — ont été récemment identifiées ou décrites dans l’archipel guadeloupéen.
Parmi ces découvertes figure un scorpion blanc observé à La Désirade, ainsi que de nombreux coléoptères de très petite taille, parfois inférieurs à un centimètre. Ces espèces, discrètes, nocturnes et invisibles dans le débat public, révèlent la richesse insoupçonnée des écosystèmes insulaires.
Contrairement à une idée largement répandue, la Guadeloupe n’est pas un territoire biologiquement « connu ». Si la flore et les grands vertébrés ont été relativement étudiés, les invertébrés — qui constituent pourtant l’essentiel de la biodiversité terrestre — demeurent largement ignorés. Les scientifiques estiment que seule une fraction des espèces présentes a été formellement recensée.
Cette ignorance n’est pas un hasard. Elle résulte d’un manque chronique de moyens consacrés à la recherche naturaliste en Outre‑mer, de la complexité des milieux tropicaux et d’un pilotage des politiques environnementales depuis l’Hexagone, souvent déconnecté des réalités locales. Dans les îles, l’endémisme élevé implique qu’une espèce découverte localement peut n’exister nulle part ailleurs au monde.
Ces découvertes dépassent donc largement la curiosité scientifique. Elles posent des questions centrales de conservation, de gestion des milieux naturels et de responsabilité politique. Une espèce non décrite est une espèce sans statut, sans protection, donc sacrifiable. À l’inverse, connaître le vivant permet de guider l’aménagement du territoire, de hiérarchiser les priorités et d’évaluer l’impact réel des activités humaines.
Dans un contexte de pression foncière croissante, de changement climatique et de fragmentation accélérée des habitats, la Guadeloupe se situe à un point de bascule écologique. Continuer à ignorer cette biodiversité invisible reviendrait à organiser sa disparition silencieuse.
Au‑delà de la science, ces découvertes rappellent que la Guadeloupe n’est ni un simple territoire touristique ni une variable d’ajustement administrative. Elle constitue un patrimoine naturel mondial, fragile et irremplaçable.
À l’heure où la France revendique un leadership international en matière de protection de la biodiversité, la situation guadeloupéenne met en lumière une contradiction majeure: on ne peut prétendre défendre le vivant à l’échelle globale tout en négligeant les territoires qui en concentrent l’essentiel.
La question n’est donc plus de savoir si nous pouvons protéger la biodiversité en Guadeloupe. Elle est de savoir si nous avons le courage politique de le faire. Car laisser disparaître le vivant sans même l’avoir connu serait l’un des échecs les plus graves de la République écologique.



