Dans un système économique réellement vertueux, les territoires ultramarins n’auraient pas été durablement assignés au rôle de marchés captifs, simples comptoirs d’écoulement des productions métropolitaines et européennes.
Mais cette situation ne relève pas d’un déterminisme abstrait : elle est le produit de choix politiques cumulés, opérés à la fois par l’État et par le laissez-faire d’ organes de gouvernance locale en charge du développement économique.
La responsabilité ne saurait donc être exclusivement imputée à Paris.
Les collectivités territoriales, les agences de développement, les autorités organisatrices de l’économie locale ont, elles aussi, accepté, accompagné ou reconduit un modèle fondé sur l’importation, la distribution et la dépendance, plutôt que sur la structuration d’une production endogène durable.
Il convient dès lors de déplacer le débat.
La question n’est pas de savoir si le groupe Bernard Hayot – pour citer cet exemple totémique – n’aurait pas connu un tel développement sans ce cadre économique. Une telle formulation est réductrice. Le savoir-faire du groupe GBH – en matière de logistique, de financement, d’ingénierie commerciale et de gestion – aurait été orienté vers d’autres priorités si le cadre public était rationnel.
Dans un environnement fiscal, social et réglementaire favorable à la production locale, ce savoir-faire aurait servi la structuration de la petite et moyenne agriculture, l’émergence d’une industrie agroalimentaire locale, la consolidation de filières de transformation et, plus largement, un développement économique endogène.
Dans un système capitaliste, le rôle des groupes économiques n’est pas de créer les conditions du développement.
ils s’y adaptent. Si les conditions fiscales, sociales et économiques avaient été clairement orientées vers l’expansion du tourisme productif, de l’industrie locale ou de l’économie de transformation, de l’autonomie alimentaire, il ne fait aucun doute que les capitaux et les bénéfices du groupe auraient été prioritairement affectés à ces secteurs. L’investissement suit toujours les signaux publics.
Dès lors, l’argument selon lequel la puissance du groupe Bernard Hayot dépendrait essentiellement de la relation économique spécifique entre la France et son Outre-mer ne résiste pas à l’analyse comparative.
Le groupe est présent dans des pays où l’économique ne dépend pas d’une métropole tutélaire, où les modèles de développement sont très différents. Sa réussite tient d’abord à sa capacité d’adaptation aux cadres économiques existants, non à une rente coloniale mécaniquement reproduite.
Les groupes économiques dominants n’ont donc pas entrepris de confisquer l’économie ultramarine.
Ils ont prospéré dans un cadre que l’État et les gouvernances locales ont conjointement rendu possible. Ce sont ces autorités qui ont privilégié la distribution plutôt que la production, la consommation importée plutôt que l’investissement productif, et la stabilité immédiate plutôt que la transformation structurelle.
Le véritable enjeu n’est pas de désigner des entreprises comme boucs émissaires, mais d’interroger frontalement la responsabilité politique. Ce ne sont pas les entreprises qui définissent la politique de concurrence, qui orientent la fiscalité ou qui décident des filières stratégiques. Cette responsabilité incombe à l’État et aux collectivités.
Le scandale n’est pas que certains groupes aient su tirer parti du système. Le scandale est que, faute de vision et de courage politique, ce système n’ait jamais été conçu pour orienter ces capacités économiques vers un projet collectif de développement endogène.
De par le monde des petits territoires insulaires frappés par des handicaps parfois pires que les nôtres ont vaincu les obstacles que pour nous, ont dit insurmontables.
Gérard Dorwling-Carter



