« Une critique qui se veut courageuse, mais repose sur un contresens »
Présentée comme une dénonciation salutaire des discours victimaires, la tribune intitulée Le mythe du modèle économique antillais prétend réintroduire la responsabilité individuelle et collective dans le débat public martiniquais. L’intention peut paraître louable. Elle repose pourtant sur un contresens fondamental : confondre les lois générales de l’économie avec les configurations institutionnelles et structurelles concrètes dans lesquelles ces lois s’exercent.
« Un modèle économique n’est pas une négation des règles du marché »
Un modèle économique ne signifie ni exception culturelle, ni dérogation aux règles du marché. Il désigne une architecture productive, une organisation des échanges, un système d’incitations fiscales, sociales et logistiques, ainsi qu’un partage précis des rôles entre l’État, les entreprises et les ménages. À ce titre, il existe bien un modèle économique antillais, au sens descriptif et analytique, comme il existe un modèle nordique ou allemand. Le nier revient à refuser toute analyse économique sérieuse.
« Une intégration juridique réelle, mais une intégration économique déséquilibrée »
La Martinique est pleinement intégrée à la France et à l’Union européenne. Mais cette intégration est fonctionnelle, non équilibrée. L’économie locale se caractérise par une dépendance massive aux importations, une faible diversification productive, une domination de la distribution sur la production, un poids central des transferts publics et l’étroitesse du marché intérieur. Ces constats sont documentés par l’Insee, l’IEDOM, la Cour des comptes et la Commission européenne.
« Responsabilité individuelle et contraintes structurelles ne s’opposent pas »
Reconnaître des contraintes structurelles n’abolit ni la responsabilité individuelle, ni l’initiative économique, ni l’exigence de résultats. Bien au contraire : on ne réforme que ce que l’on comprend. Les territoires qui ont réussi leur transformation sont ceux qui ont d’abord posé un diagnostic lucide de leur modèle économique réel, avant d’agir sur la formation, la logistique, l’innovation et l’ouverture régionale.
« La Caraïbe n’est pas un espace économique neutre »
Aucun territoire caribéen indépendant ne cumule salaire minimum européen, protection sociale intégrale, monnaie européenne, normes communautaires, éloignement géographique et dépendance alimentaire. Ce cumul produit un modèle économique spécifique, avec ses forces mais aussi ses rigidités. Le nier, c’est condamner les politiques publiques à l’inefficacité, faute d’outils adaptés à la réalité du territoire.
« Nommer le modèle pour pouvoir le transformer »
Le débat économique martiniquais ne souffre pas d’un excès de mémoire, mais d’un déficit de lucidité politique. Refuser d’interroger le modèle économique réellement à l’œuvre, ses incitations, ses rentes et ses angles morts, revient à reconduire les mêmes politiques publiques inefficaces sous couvert de discours volontaristes. La responsabilité politique ne consiste pas à nier les structures, mais à les transformer. Sans cette exigence, l’appel à l’effort individuel devient un alibi commode pour l’inaction collective.
Jean-Paul BLOIS



