Une mise sous administration provisoire pour restaurer le fonctionnement d’un pilier social martiniquais
La traverse la plus grave crise institutionnelle de son histoire. Après plusieurs mois de dysfonctionnements majeurs au sein de son conseil d’administration, le ministère de la Santé a placé l’établissement sous administration provisoire, mesure publiée au Journal officiel du 12 octobre 2025.
Le 7 octobre, la ministre compétente a suspendu l’ensemble du conseil d’administration, confiant la gestion de la caisse à Jean-Luc Izard, administrateur d’État, jusqu’au renouvellement du conseil prévu pour février 2026.
Une crise de gouvernance depuis quelques mois
L’« affaire CGSSM » trouve son origine dans une série de blocages persistants observés : absence récurrente de quorum, conflits internes autour de la présidence et paralysie du vote du budget. Ces dysfonctionnements ont empêché la validation d’actes essentiels à la continuité de l’institution.
Selon des sources proches du ministère, certaines décisions du conseil ont été jugées irrégulières, nourrissant un climat de défiance entre les membres élus, les représentants syndicaux et l’État.
Cette situation critique a conduit à un blocage du pilotage stratégique de l’organisme, pourtant central dans le versement des prestations sociales, la gestion du régime général et la coordination de la branche maladie sur le territoire.
Des alertes déjà anciennes
La décision ministérielle intervient après plusieurs alertes répétées de la Cour des comptes.
Dans son rapport de 2024, la juridiction financière avait sévèrement critiqué la gestion de la CGSSM, pointant des délais de traitement « nettement supérieurs à la moyenne nationale » – jusqu’à 183 jours pour un dossier de retraite – et une insatisfaction des assurés.
D’autres décisions de justice récentes avaient également sanctionné la caisse pour excès de zèle dans le recouvrement des cotisations sociales, soulignant une fragilité organisationnelle et un déficit de contrôle interne.
Continuité du service et mission de redressement
Le ministère a tenu à rassurer les usagers : la mise sous administration provisoire n’aura pas d’impact sur le versement des prestations ni sur les 900 agents de la caisse.
La mission confiée à Jean-Luc Izard consiste à assurer la continuité de service, à rétablir la conformité juridique des décisions et à préparer le retour à une gouvernance normale.
Cette phase transitoire doit durer jusqu’à février 2026, avant l’installation d’un nouveau conseil d’administration, dans un cadre de tutelle renforcée.
Une institution au cœur de la mémoire sociale martiniquaise
Au-delà de la crise administrative, l’affaire soulève un débat plus profond sur la nature et l’identité de la CGSSM.
Créée à l’initiative de militants sociaux martiniquais, la Caisse générale s’est historiquement distinguée par son statut hybride : une entreprise privée investie d’une mission de service public, née d’un effort local pour étendre les droits sociaux à l’ensemble de la population.
Dans les années 1950 et 1960, la Sécurité sociale ne bénéficiait qu’aux fonctionnaires métropolitains ; les Martiniquais ont dû conquérir leurs droits, souvent au prix de luttes syndicales et politiques.
C’est cette autonomie d’origine que certains acteurs locaux estiment aujourd’hui menacée par la reprise en main de l’État.
Dans un message diffusé sur les réseaux sociaux, il est dénoncé un « démantèlement organisé de l’organe politique » que représentait le conseil d’administration :
« La CGSSM, conçue par des Martiniquais pour les Martiniquais, était un symbole d’autonomie sociale. L’État n’a jamais voulu de ce modèle. Aujourd’hui, il reprend la main sous prétexte de crise. »
Une vision que ne partage pas un ancien cadre à la retraite, pour qui la dérive actuelle relève avant tout de divisions internes :
« Les syndicats se battent les uns contre les autres. Ce ne sont pas toujours les autres les responsables de nos déboires. J’ai connu des présidents et des administrateurs remarquables : les désaccords finissaient toujours par des compromis utiles au pays et au service public. »
Un révélateur des fragilités institutionnelles locales
L’« affaire CGSSM » dépasse la seule question de la gestion d’un organisme social : elle met en lumière les défis structurels de la gouvernance publique en Martinique, partagée entre autonomie de gestion et tutelle étatique.
Elle interroge aussi la capacité des institutions locales à maintenir des équilibres politiques stables dans un contexte de mutation statutaire et de demande croissante de souveraineté administrative.
Un cas d’école de la tutelle administrative en Outre-mer
La mise sous administration provisoire d’un organisme comme la CGSSM est juridiquement prévue par le Code de la sécurité sociale, mais elle reste exceptionnelle.
Elle illustre le principe de tutelle administrative, par lequel l’État peut intervenir lorsqu’un établissement public ou parapublic ne parvient plus à exercer ses missions de manière régulière.
Dans le contexte ultramarin, où les structures locales combinent souvent missions nationales et logiques territoriales, ces interventions posent la question du juste équilibre entre autonomie et contrôle.
À ce titre, la CGSSM pourrait devenir un cas d’étude majeur pour les chercheurs et juristes s’intéressant à la stabilité des organismes sociaux ultramarins, à la gouvernance partagée et aux mécanismes de régulation publique.
Gérard Dorwling-Carter