Le cycle infernal de la vie chère
La vie chère ne se résume pas à une affaire de prix ou de marges. En Martinique comme en Guadeloupe, elle révèle un malaise plus profond : la fragilité des repères sociaux et l’absence d’un leadership capable d’inspirer, de mobiliser et de transformer nos sociétés.
Je suis tombé par hasard sur une réflexion de Sandra Casanova, conseillère à l’Assemblée de Martinique et présidente de la commission Stratégies logistiques du territoire. Elle y décrit un cycle tristement familier en Guadeloupe comme en Martinique : vie chère → revenus limités → surenchère d’apparence → économie parallèle.
Autrement dit, quand les prix grimpent et que les salaires stagnent, beaucoup cherchent à tenir leur rang social en affichant une réussite ostentatoire : voiture, smartphone dernier cri, sorties coûteuses. Ce « peacocking » de survie donne l’illusion d’appartenir, mais fragilise encore plus les budgets familiaux et nourrit l’économie informelle.
Des réponses utiles mais limitées
En Martinique, le protocole “vie chère” a ouvert des pistes : exonérations fiscales, baisses ciblées, encadrement des marges, soutien logistique. Des avancées réelles, mais insuffisantes. Car, comme le souligne Sandra Casanova, ces outils ne changent pas nos comportements sociaux et économiques en profondeur.
La véritable clé se situe ailleurs : dans le leadership. Pas celui qui gère au jour le jour, mais celui qui inspire, qui mobilise et qui transforme. Un leadership capable de proposer une vision commune, de valoriser d’autres repères que le paraître, de bâtir des ponts entre l’économie informelle et le secteur formel, de transformer nos atouts logistiques en leviers durables de compétitivité.
Qui portera ce leadership transformationnel ?
La question n’est pas « faut-il un tel leadership ? ». La question est : qui peut l’incarner et comment l’accompagner ? Quelques propositions: Les élus pourraient franchir un cap, à condition de rompre avec le clientélisme, d’assumer la transparence et de s’appuyer sur une réelle participation citoyenne.
Les entrepreneurs peuvent démontrer qu’allier réussite économique et responsabilité sociale est possible.
La société civile peut devenir une pépinière de nouveaux leaders grâce à ses associations, syndicats, mouvements de jeunesse.
Les voix culturelles et intellectuelles — artistes, écrivains, figures spirituelles — ont le pouvoir de donner sens, de raconter une vision partagée et d’ancrer la transformation dans la mémoire collective.
Sans doute, en réalité, l’émergence passera par une alliance inédite : politiques, entrepreneurs, citoyens et monde culturel. Un leadership collectif, enraciné et partagé.
Sortir du piège de l’ostentation
La « vie chère » ne se combat pas seulement par des exonérations ou des baisses de prix. Elle exige un changement de repères sociaux, une autre définition de ce que signifie « réussir » aux Antilles. La réussite ne peut pas se réduire à l’ostentation : elle doit être synonyme de solidarité, d’innovation, de culture et de dignité retrouvée.
Nous disposons de talents, d’intelligence collective, de ressources. Ce qui manque, c’est une vision mobilisatrice et le courage de transformer nos fragilités en forces.
Mais un danger plus profond nous guette : celui de rester enfermés derrière les murs invisibles de la race, de la classe et des idéologies héritées, qui nourrissent nos divisions et entretiennent l’illusion d’une opulence factice.
C’est là le véritable défi. Abandonner ces cloisons mentales et sociales pour bâtir une société réellement solidaire. Car sans ce dépassement, nous resterons prisonniers d’un miroir trompeur : l’affichage de réussite pour quelques-uns masquera la précarité du plus grand nombre.
Alors posons la seule vraie question : sommes-nous prêts à faire émerger des leaders transformationnels ET à dépasser nos divisions internes pour que la Martinique et la Guadeloupe cessent de survivre dans une opulence de façade ?
Car si nous ne le faisons pas, d’autres continueront à décider pour nous — à Paris, à Bruxelles ou ailleurs. Et, une fois encore, nous aurons manqué l’occasion de reprendre en main notre destin.
Gérard Dorwling-Carter



