Un signal fort venu de Matignon
Avec la nomination de Naïma Moutchou au ministère des Outre-mer, c’est un signal fort qu’envoient Emmanuel Macron et Sébastien Lecornu : celui de l’ouverture d’un processus inédit, celui de l’autonomie de la Guyane, de la Martinique et de la Guadeloupe. Dans un contexte politique explosif, où le nouveau Premier ministre peine déjà à éviter une censure parlementaire synonyme de dissolution, cette décision s’inscrit dans une recomposition politique incertaine, mais aussi dans une stratégie de rupture avec le vieux modèle institutionnel de la départementalisation. Après les épisodes fugaces de Michel Barnier, François Bayrou et Sébastien Lecornu, c’est un pouvoir à bout de souffle qui tente de se réinventer. Ce Sébastien Lecornu bis, installé à Matignon, incarne moins un souffle nouveau qu’une continuité contrainte, dans un moment où l’État central vacille sous la pression conjuguée d’une gauche revancharde, d’une extrême droite jusqu’au-boutiste, d’une droite fracturée et d’un centre sans repères.
Une France en perte de cohésion
Dans la France d’aujourd’hui, la fracture entre élites mondialisées et classes moyennes reléguées s’est muée en abîme social et culturel. Les premières évoluent dans un univers globalisé, sans attaches territoriales, pendant que les secondes subissent le déclassement, la précarité et la perte de sens. Emmanuel Macron, en fin stratège, a laissé s’installer un face-à-face mortifère entre technocratie libérale et populisme identitaire, faisant du duel avec le Rassemblement national le cœur battant de la vie politique française. Mais cette mise en scène dissimule mal la fatigue du corps social et la colère d’une classe moyenne qui ne se reconnaît plus dans les discours d’un pays qu’elle estime trahi par ses élites. La crise n’est pas seulement économique : elle est culturelle et institutionnelle. Elle touche à la représentation même de la nation, à ce sentiment diffus que la France ne sait plus où elle va, ni pour qui elle agit.
Naïma Moutchou : le choix du pragmatisme républicain
C’est dans ce paysage de crise systémique que la nomination de Naïma Moutchou prend tout son relief. Fille d’une famille modeste d’origine marocaine, née en 1980 à Ermont, juriste aguerrie et avocate au barreau de Paris, elle s’est imposée par son parcours républicain exemplaire en tant que vice-présidente de l’Assemblée nationale. Mais ce n’est ni son ancrage politique, plutôt situé à droite, ni son profil social qui expliquent sa nomination. C’est son rapport à la justice, sa rigueur et sa maîtrise des rouages institutionnels. Car la mission qui lui est confiée dépasse la simple gestion administrative des Outre-mer : il s’agit désormais de piloter l’ouverture du processus d’autonomie des territoires ultramarins, à commencer par la Guadeloupe, la Guyane et la Martinique, qui se sont récemment prononcées en congrès pour un changement statutaire.
La fin silencieuse du modèle départemental
Derrière la formule technocratique d’« adaptation institutionnelle », le gouvernement acte en silence la fin d’un modèle : celui de l’assimilation et de la départementalisation. Ce système, hérité des lendemains de la Seconde Guerre mondiale, a longtemps servi de cadre protecteur à ces territoires, mais il ne répond plus ni aux attentes économiques ni aux aspirations politiques des élus et d’une partie de la population. Le malaise est ancien et profond, nourri par des décennies d’inégalités structurelles, de dépendance financière et de centralisation excessive. Mais le temps des réformettes et des demi-mesures de décentralisation est-il pour autant révolu ? À première vue, non. Car selon la teneur de son discours de politique générale, Sébastien Lecornu a promis un nouvel « acte de décentralisation », à travers un projet de loi attendu pour décembre 2025 et destiné à renforcer le pouvoir local.
Décentraliser des responsabilités, pas seulement des compétences
« Il ne faut pas décentraliser des compétences, il faut décentraliser des responsabilités avec des moyens budgétaires et fiscaux, et des libertés, y compris normatives », a affirmé le Premier ministre. L’heure serait donc à un changement de civilisation politique : penser la responsabilité locale, la maîtrise budgétaire et la souveraineté économique partagée. Cette approche traduit une volonté d’équilibre : offrir plus de libertés locales sans mettre en péril l’unité républicaine. Elle fait écho au désir d’autonomie exprimé par plusieurs territoires, tout en cherchant à éviter l’éclatement du cadre national.
Une voie médiane entre autonomie et unité républicaine
Conscient des tensions que pourrait susciter une mutation aussi radicale, le Premier ministre a adressé aux élus un message réaffirmant sa volonté d’engager un nouvel acte de décentralisation. Ce projet vise à clarifier les compétences entre les différents niveaux de collectivités et à redonner un pouvoir réglementaire réel aux territoires. Les champs prioritaires – santé, environnement, urbanisme, logement, transports, culture, tourisme et sport – traduisent un recentrage pragmatique de l’action publique locale. Sébastien Lecornu insiste sur une large concertation avec les élus, les associations, le Parlement et la société civile, pour construire un modèle renouvelé de gouvernance territoriale, sans rompre avec l’unité républicaine.
L’autonomie : une idée encore fragile
Pourtant, l’autonomie demeure une idée fragile, menacée par les non-dits budgétaires et les résistances culturelles. La référence à l’article 74 de la Constitution, sur le modèle calédonien, fait rêver certains, mais reste lointaine. Derrière les grands principes se cachent des réalités complexes : dépendance financière vis-à-vis de l’État, déséquilibre fiscal, peur d’une rupture mal préparée. Mais le statu quo n’est plus tenable. Les Outre-mer, et la Guadeloupe en particulier, ne peuvent plus vivre au rythme comptable de la métropole sans risquer un déclin économique et social irréversible.
Inventer une voie propre
L’autonomie, si elle doit advenir, ne saurait être une fuite en avant idéologique. Car si la France continentale chancelle sous le poids de ses contradictions politiques et sociales, la Guadeloupe, la Guyane et la Martinique n’ont d’autre choix que d’inventer leur propre voie, que ce soit dans le cadre d’une décentralisation rénovée ou d’un processus d’autonomie concertée. La dynamique est enclenchée : les élus, désormais soutenus par le gouvernement, disposent d’une occasion historique pour repenser le contrat entre les territoires ultramarins et la République.
Jean-Marie Nol – Économiste et juriste en droit public