Un archipel devenu maillon central du narcotrafic
Longtemps perçues comme des zones périphériques dans la géographie mondiale du narcotrafic, les Antilles françaises se trouvent désormais au cœur des routes de la cocaïne entre l’Amérique latine et l’Europe. Fort-de-France et Jarry, en Martinique et en Guadeloupe, sont devenus des points de passage recherchés par les organisations criminelles, qui exploitent la proximité géographique avec les pays producteurs et la densité croissante des flux maritimes régionaux.
Un déplacement stratégique des routes sud-américaines
La transformation du marché mondial explique en partie cet essor. En Colombie, la production de cocaïne a été multipliée par sept entre 2014 et 2023, atteignant près de 2 700 tonnes. Une partie de ces cargaisons transite désormais par les Caraïbes, où les réseaux bénéficient d’un maillage portuaire dense et de frontières maritimes difficiles à contrôler. Pour les groupes criminels, les Antilles françaises offrent un avantage supplémentaire : leur statut européen. Une fois la drogue entrée dans un territoire de l’Union, elle peut rejoindre le continent sous des couvertures commerciales légales.
Des ports secondaires sous pression
Les infrastructures de Fort-de-France et de Jarry, conçues pour accueillir des flux commerciaux croissants, peinent à absorber la montée du trafic clandestin. Les organisations utilisent des techniques de dissimulation de plus en plus sophistiquées, introduisant la drogue dans des conteneurs ordinaires lors d’escales locales ou profitant des transbordements pour masquer les cargaisons illicites parmi les produits légitimes.
Les ports secondaires attirent également les trafiquants, qui y voient des points d’entrée moins surveillés que les grands ports européens ou que Le Havre, où les contrôles ont été renforcés. Ce report de pression a transformé les Antilles en maillons incontournables de la chaîne logistique du narcotrafic.
Une mer propice aux “drop-off”
Au-delà des ports, les eaux antillaises sont devenues un terrain de jeu privilégié pour les réseaux criminels. Le “drop-off”, une technique consistant à larguer des ballots de cocaïne en mer avant leur récupération par des embarcations rapides, s’y est largement développé. Ces opérations, souvent conduites de nuit, reposent sur une connaissance fine des courants et des zones peu surveillées.
Un renforcement des moyens de surveillance
La Marine nationale, appuyée par les douanes, multiplie les patrouilles en mer et utilise radars, caméras infrarouges et surveillance satellite pour repérer les embarcations suspectes. Les interceptions récentes témoignent de l’efficacité de ces moyens, mais elles révèlent aussi l’ampleur du phénomène : des tonnes de cocaïne saisies, et probablement bien davantage qui échappent encore à la détection.
Une coopération internationale décisive
Face à des organisations transnationales en perpétuelle adaptation, les Antilles françaises dépendent largement de la coopération internationale. Les opérations conjointes avec la Colombie, les États-Unis, l’Espagne et le Portugal permettent d’anticiper les départs de cargos suspects et d’intercepter les ballots en mer. Le centre de fusion du renseignement maritime Antilles-Guyane coordonne les informations issues des surveillances terrestres, aériennes et maritimes, garantissant une vision élargie des routes empruntées.
Mais cette coopération se heurte à la fragmentation des juridictions et à la multiplicité des acteurs régionaux. Les réseaux criminels, plus mobiles et mieux financés, exploitent ces failles pour déplacer leurs opérations d’une zone à l’autre, parfois en quelques jours.
Un enjeu sécuritaire et politique majeur pour l’État
L’essor du trafic de cocaïne dans les Antilles françaises dépasse le seul cadre policier. Il fragilise les économies insulaires déjà vulnérables, nourrit les violences locales et expose les populations à des risques sanitaires croissants. Il pose également la question de la capacité de l’État à protéger des territoires ultramarins devenus des cibles prioritaires pour les réseaux criminels internationaux.
À mesure que les routes sud-américaines se recomposent, les Antilles françaises apparaissent plus que jamais comme un pivot du narcotrafic mondial. La réponse devra être globale : renforcement des capacités portuaires, modernisation du renseignement et coopération régionale accrue.
Jean-Paul BLOIS



